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captifs du 10 août n’ont-ils pas relevé la tête en entendant dans la rue noire, dont un sinistre réverbère étoilait le brouillard d’une tache pâle et huileuse, une voix invisible et lointaine chantant :

      Ô Richard ! ô mon roi !
      L’univers t’abandonne.
Sur la terre, il n’est que moi
Qui s’intéresse à ta personne ! »

J’extrais ces lignes d’un livre intitulé un Musicien en vacances et qui contient sur l’Opéra-Comique et ses tendances vers la fin du dernier siècle quelques pages d’un sens critique remarquable. Dans un chapitre consacré aux souvenirs de la Comédie-Italienne, le rôle que l’Opéra-Comique de cette époque fait jouer au paysan est ingénieusement raconté. On le voit, berger d’abord avec sa houlette enrubannée, chaussé, culotté de taffetas, jeune, sensible et galant, s’appelant Colin et courtisant Colette. C’est le règne du pavillon de Lucienne, de Fontainebleau et de Trianon, le règne du paysage sans le paysan : « Otez de devant moi ces vilains magots ! » Cependant de ce personnage roucoulant et bénin le drame va bientôt s’emparer, et voici que paraissent les révolutionnaires sans le savoir : Greuze, Sedaine (le tailleur de pierres), Philidor et Monsigny. Le type alors s’accentue, le paysan est mis en présence de son éternel ennemi, le seigneur, lequel, scandale énorme, cessera désormais d’avoir toujours le beau rôle : le Jardinier et son Seigneur, de Philidor, le Droit du seigneur, de Martini, ouvrent, sur ce théâtre inoffensif de la Comédie-Italienne, la voie au Mariage de Figaro. Pour réclamer les droits imprescriptibles de la justice et de la raison méconnues, toute voix est acceptée, toute scène sert de tribune. Nous sommes en 1762, la Comédie-Italienne vient de fusionner avec l’Opéra-Comique. « Un des premiers succès fut le Bûcheron ou les Trois souhaits, paroles de Guichard et Castel, musique de Philidor, ce grand compositeur français, effacé plus tard par Grétry, et dont les ouvrages oubliés dénotent une véritable organisation dramatique servie par une éducation musicale bien supérieure à celle de son heureux rival, — Philidor l’auteur du Sorcier, du Maréchal ferrant, d’Ernelinde et de l’ouvrage le plus fort qu’un musicien ait publié en France de Rameau à Méhul : le Carmen seculare ! » Que nous veut ce bûcheron ? Il entre la cognée sur l’épaule et s’essuyant le front avec sa manche : « Ouf ! je suis tout en eau ; respirons un moment, les pauvres gens sont-ils assez à plaindre ! Depuis que je suis au monde, le ne fais que travailler, et le n’en suis pas mieux ! » Suit un air d’une énergie âpre, sauvage, navrant à la fois et terrible, et qui se termine par une explosion majeure dont les premières notes rappellent le début de la Marseillaise. Toute la fatigue héréditaire qui pesait depuis tant de siècles sur le pauvre Jacques surmené, et lui faisait paraître si lourd l’outil avec lequel il travaillait pour un autre, est exprimée ici avec une