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majorité de 14 voix, qui rappelait celle du 24 mai, et une commission de quinze membres a été nommée pour examiner la proposition qui venait de se produire. En apparence, ce sont là les incidens assez simples, nullement extraordinaires, d’un commencement de session qui était indiqué d’avance comme devant être le rendez-vous de tous les partis, de toutes les opinions. Au fond, il n’y a point à s’y tromper, l’incohérence est partout, c’est la netteté qui a manqué ; elle n’est pas beaucoup plus dans l’attitude du gouvernement que dans l’opposition, et si elle n’est pas à gauche, elle est certes encore moins à droite. Pour parler en toute franchise, une question qui aurait dû être présentée simplement, largement, sans subterfuge et sans arrière-pensée, qui aurait dû être traitée et résolue dans un sentiment de conciliation, sous l’unique inspiration de l’intérêt public, cette question a eu la mauvaise chance d’être mal présentée, mal engagée, de se trouver réduite dès le premier moment aux proportions secondaires d’une combinaison de parti. Au lieu de simplifier le problème, on l’a compliqué en y ajoutant des apparences d’équivoque, en faisant de ce qui aurait dû servir à l’apaisement public une occasion de conflit, en mettant brusquement aux prises des préventions, des passions déjà fort en éveil. C’est là le malheur, il est venu surtout de ce que cette question de la prorogation des pouvoirs de M. le maréchal de Mac-Mahon a trop ressemblé du premier coup à une revanche intéressée d’une déception récente, à un moyen indirect de chercher une victoire dans un mécompte cuisant qu’on avait de la peine à dissimuler.

Il faut aller au fond des choses et se rendre compte de la situation telle qu’elle apparaissait il y a quelques jours, telle qu’elle est encore. Dans quelles conditions se réunissait l’assemblée ? Une grande tentative venait d’être faite pour le rétablissement de la monarchie ; elle avait été même conduite assez loin pour que les optimistes n’eussent plus aucun doute sur le succès, et pendant quelques jours se déroulait ce spectacle assez étrange d’hommes sérieux ayant des ambassadeurs auprès de M. le comte de Chambord, recevant ou interprétant la parole du prince, préparant des actes constitutionnels, « pointant » les noms des députés fidèles ou hésitans, chiffrant la majorité probable qui se rallierait à la restauration prochaine. On s’était si bien laissé fasciner par cette pensée, qu’on faisait tout ce qu’on pouvait pour rendre impossible ce qui ne serait pas la monarchie, en coupant toute retraite aux indécis, en répétant partout avec affectation qu’il n’y avait pas d’autre alternative que d’appeler le roi ou de périr, que le maréchal de Mac-Mahon était désormais décidé à ne plus garder le pouvoir. Ce n’était qu’une tactique sans doute pour aiguillonner les irrésolus ; mais la tactique était assurément des plus dangereuses, et en outre elle ressemblait un peu à un enfantillage. On vivait dans ces illusions, qu’on croyait transformer d’un jour à l’autre