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dit-on ; il partagera leur fortune, il restera avec eux ou il s’en ira avec eux. S’il en est ainsi, où est cette stabilité qu’on promet ? que deviennent les dix années de prorogation ?

Certes, lorsque M. Jules Grévy, au moment de la déclaration d’urgence, refusait à l’assemblée le droit de disposer de l’avenir, de créer un gouvernement qui pourrait lui survivre, lorsqu’il prétendait que ce ne serait là qu’une création révolutionnaire extra-légale, il allait beaucoup trop loin, et, en voulant trop prouver, il ne prouvait rien ; mais lorsque M. Dufaure, avec sa pressante logique, avec un sentiment exact de la réalité des choses, montrait le danger, presque l’impossibilité d’un pouvoir mal défini, isolé, séparé de l’organisme constitutionnel tout entier, que pouvait-on lui répondre sérieusement ? Il touchait le nœud de la situation. Évidemment on n’y a pas réfléchi, ou plutôt au moment où l’on venait d’échouer dans l’entreprise de la restauration de la monarchie on n’a pas voulu trop faire pour la république, on lui a marchandé le nom, la durée, l’existence. On n’a pas vu qu’en procédant ainsi on allait fort légèrement au-devant de toutes les difficultés, qu’on provoquait les méfiances, les doutes, les représailles, qu’on risquait enfin de compromettre d’avance ce pouvoir qu’on voulait créer, le nom même de M. le maréchal de Mac-Mahon, et c’est ainsi qu’une question qui aurait pu être toute simple s’est trouvée du premier coup engagée dans une véritable confusion où tous les partis se sont heurtés bruyamment.

Les conservateurs, faute de décision et de raison politique, n’ont pas fait assez ; les républicains de leur côté ont voulu profiter de la circonstance pour faire triompher définitivement la république ; les bonapartistes à leur tour n’ont pas négligé de se jeter dans la mêlée, prêts à porter leur contingent dans tous les camps, à se faire les alliés de la gauche ou de la droite, et autour de la proposition primitive de M. le général Changarnier toutes les propositions se sont donné un tumultueux rendez-vous : proposition pour la proclamation définitive de la république, proposition pour l’appel au peuple, amendemens sur la prorogation présidentielle et sur ses conditions, On n’a que le choix. Que les républicains, un moment effrayés de la possibilité d’une restauration soudaine de la monarchie, et maintenant un peu revenus de leur émotion, aient cru trouver dans les circonstances actuelles une occasion favorable pour hâter l’établissement irrévocable de leur régime préféré, pour demander des proclamations solennelles, un brevet de longue vie et même d’éternité en faveur de la république, on ne peut guère s’en étonner ; mais après tout que gagneraient-ils aujourd’hui à paraître dédaigner, ce qui est pratiquement possible, ce qu’ils ont sous la main, dans l’espoir assez vain d’atteindre ce qui est bien plus difficile et ce qui est même inutile ? Ils n’ont qu’à suivre les conseils que leur donnait