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Je me suis fait encore une mauvaise affaire en m’étonnant que la reine de Naples ait fait faire sa photographie avec des bottes. C’est une exagération de mots et une bêtise qui passent tout ce que vous pouvez imaginer. L’autre soir, une dame me demande si j’avais vu l’impératrice d’Autriche. Je dis que je la trouvais très jolie. « Ah ! elle est idéale! — Non, c’est une figure chiffonnée, plus agréable que si elle était régulière, peut-être. — Ah ! monsieur, c’est la beauté même! Les larmes vous viennent aux yeux d’admiration! » Voilà la société d’aujourd’hui. Aussi je la fuis comme la peste. Qu’est devenue la société française d’autrefois?

Un dernier ennui, mais colossal, a été Tannhauser. Les uns disent que la représentation à Paris a été une des conventions secrètes du traité de Villafranca, d’autres qu’on nous a envoyé Wagner pour nous forcer d’admirer Berlioz. Le fait est que c’est prodigieux. Il me semble que je pourrais écrire demain quelque chose de semblable en m’inspirant de mon chat marchant sur le clavier d’un piano. La représentation était très curieuse. La princesse de Metternich se donnait un mouvement terrible pour faire semblant de comprendre et pour faire commencer les applaudissemens, qui n’arrivaient pas. Tout le monde bâillait; mais d’abord tout le monde voulait avoir l’air de comprendre cette énigme sans mot. On disait, sous la loge de Mme de Metternich, que les Autrichiens prenaient la revanche de Solférino. On a dit encore qu’on s’ennuie aux récitatifs et qu’on se tanne aux airs. Tâchez de comprendre. Je m’imagine que votre musique arabe est une bonne préparation pour cet infernal vacarme. Le fiasco est énorme! Auber dit que c’est du Berlioz sans mélodie.

Nous avons ici un temps affreux : vent, pluie, neige et grêle, varié par des coups de soleil qui ne durent pas dix minutes. Il parait que la mer est toujours en furie, et je suis content que vous ne reveniez pas tout de suite.

Vous ai-je dit que j’avais fait connaissance de M. Blanchard, qui va s’établir rue de Grenelle? Il m’a montré de jolies aquarelles, des scènes de Russie et d’Asie, qui me paraissent avoir beaucoup de caractère, qui sont faites avec talent et verve.

Je voudrais vous donner des nouvelles; mais je ne vois rien qui mérite d’aller outre-mer. Je suis persuadé que le pape s’en ira avant deux mois, ou que nous le planterons là, ou qu’il s’arrangera avec les Piémontais; mais les choses ne peuvent durer en l’état. Les dévots crient horriblement; mais le peuple et les bourgeois gaulois sont antipapistes. J’espère et je crois que Isidore partage ces derniers sentimens.

Je vais probablement faire une course de quelques jours dans le midi, avec mon ex-ministre, pour passer cet ennuyeux temps de