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respect des parens, de l’obéissance au mari, il place la crainte des dieux. Quand cette crainte n’était pas mêlée de superstition, c’était le plus bel éloge qu’on pût faire d’une matrone, et on le disait dans son épitaphe.

Ce qui fait qu’on est quelquefois surpris que les Romaines aient éprouvé ces sentimens de piété sincère pour les dieux de leur pays, c’est qu’on suppose d’ordinaire que la religion les traitait alors aussi mal que la loi et qu’elles n’avaient pas plus de place dans le culte national que dans la société civile ; mais il n’en est rien. La constitution antique de la famille romaine ne fait pas de la religion domestique un privilége pour l’homme. La femme partage avec son mari le soin de prier les dieux, et les enfans aident leurs parens. Le fils apporte les objets du sacrifice ; la fille entretient le feu du foyer, qui est une image sacrée de la famille, et qu’on ne doit jamais laisser éteindre. Dans l’état, qui n’est qu’une famille agrandie, les mêmes institutions se retrouvent. La plupart des prêtres, ceux surtout dont l’origine est le plus ancienne, sont assistés par leur femme dans leur ministère sacré. La flaminica remplit des devoirs presque aussi délicats que le flamen son mari, elle est soumise à des prescriptions aussi minutieuses. La jeune fille, dont le rôle était si important dans la religion de la famille, est remplacée dans celle de l’état par les vestales. Six patriciennes, choisies dans les plus grandes maisons de Rome, font vœu de se consacrer pendant trente ans au service des dieux. Elles doivent rester chastes, sous peine de mort, pour être dignes d’entretenir le feu éternel dans le foyer public. La situation de la femme était donc à peu près égale à celle de l’homme dans ces vieilles cérémonies, et, quoique l’homme se soit fait ensuite la meilleure part dans la religion comme partout, elles n’ont jamais cessé d’avoir accès aux fonctions sacerdotales, ce qui n’arrive plus aujourd’hui. Il y avait sans doute des cultes dont elles étaient exclues : elles n’entraient pas dans le temple d’Hercule, et les cérémonies de l’ara maxima leur étaient interdites ; mais elles possédaient aussi des cultes pour elles, auxquels les hommes ne devaient pas participer. Celui de la Bonne Déesse leur appartenait en propre ; Plutarque dit qu’elles avaient dans leurs maisons de petits oratoires où elles adoraient leur divine protectrice. Tous les ans, les grandes dames de Rome se réunissaient chez le premier magistrat de la république pour y célébrer les mystères de Bona Dea ; la présence de l’autre sexe était si rigoureusement défendue qu’on allait jusqu’à voiler les tableaux où quelque homme était représenté. On sait que l’année où César fut consul, le beau Clodius, amoureux de sa femme, eut l’effronterie de pénétrer sous un déguisement dans la maison consulaire, et que, malgré l’affaiblissement des anciennes croyances,