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d’apporter des couronnes dans le temple de Fortuna muliebris ou de la vieille déesse Mater matuta. De là vint que l’opinion faisait un titre d’honneur aux femmes de n’avoir eu qu’un mari, et qu’on les en félicite si souvent dans leurs épitaphes. On peut donc dire que la religion romaine, en sanctifiant le mariage, en faisant quelques efforts pour l’empêcher de devenir un concubinage légal, cherchait à protéger la dignité de la femme. Elle y a peu réussi, et la multiplicité des divorces au Ier siècle de l’empire prouve que, dans cette tentative au moins, elle n’eut guère d’influence sur les mœurs publiques.

Elle fut d’autres fois plus heureuse et rendit aux femmes des services qu’elles n’ont pas dû oublier. Presque tous les peuples antiques les condamnaient à une réclusion sévère et faisaient de leur demeure une prison. Ce préjugé était sans doute beaucoup moins fort à Rome qu’en Grèce, il y existait pourtant, et les anciennes inscriptions nous montrent qu’on leur faisait une gloire « de garder la maison et de filer leur quenouille ; » mais, pendant que l’opinion leur commandait d’y rester, la religion leur donnait des motifs légitimes pour en sortir. Il leur fallait bien, les jours de fête, se réunir à leurs compagnes pour prier ensemble les dieux ; les rituels le voulaient ainsi, et personne n’aurait osé s’y opposer. Ces réunions, qui les arrachaient un moment à la monotonie de la vie intérieure, étaient attendues avec impatience ; Lucilius laisse entendre qu’elles en profitaient pour se soustraire de temps en temps à la surveillance jalouse de leurs maris ; c’est à cause de ces réunions qu’on aimait tant le séjour des grandes villes, où les fêtes sont plus brillantes et reviennent plus souvent. Les femmes prirent bientôt l’habitude de n’y paraître qu’avec un train qui répondait à leur fortune. Polybe, parlant d’Émilia, sœur de Paul-Émile, qui avait épousé Scipion l’Africain, dit « qu’elle étalait dans ces cérémonies un luxe conforme au rang d’une Romaine qui avait été associée à la vie et à l’opulence d’un Scipion, qu’elle s’y faisait accompagner par un grand nombre de serviteurs, et que, sans parler de la richesse qui éclatait dans sa toilette et dans ses voitures, on voyait des corbeilles, des vases et tous les objets nécessaires aux sacrifices, en or et en argent, la précéder dans ces pompes solennelles. » La religion fournissait donc une occasion aux femmes de sortir de leurs demeures, de se faire voir en public et dans l’appareil qui convenait le mieux à leur amour-propre ; elles en étaient trop heureuses pour ne pas lui en garder une grande reconnaissance. La religion les aida aussi à s’insinuer de quelque manière dans la vie publique malgré les préjugés qui les en écartaient. Elles obtenaient les honneurs sacerdotaux, elles étaient prêtresses de Junon, de Vénus, de Cérès, et comme