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la pensée, il ne se souciait plus que d’exercer ses muscles, que de fatiguer son corps; à le voir nager, monter à cheval, boxer, faire des armes, tirer le pistolet, on l’eût pris pour le moins poétique des sportsmen. Toute une semaine il vivait de biscuit et de soda-water ; puis tout à coup, mourant de faim, il se gorgeait de nourriture et vidait en un seul repas trois bouteilles de bordeaux. Rien de plus inégal que son humeur : avec ses amis, plein de verve, de gaîté, de saillies, il imaginait les plaisanteries les plus bouffonnes et les plus imprévues; personne ne savait mieux que lui animer une causerie du soir, égayer un souper jusqu’aux premières lueurs du matin. Se montrait-il au contraire en public, au milieu d’un cercle nombreux, il affectait une indifférence hautaine et glaciale, il se drapait dans la sombre mélancolie de Childe-Harold, du Giaour, du Corsaire, avec le secret espoir d’étonner la foule et d’être assimilé par elle à ces personnages mystérieux que son génie rendait populaires. Il y avait sans doute beaucoup de parti-pris et de mise en scène dans cette attitude désespérée; c’était un rôle étudié pour la circonstance; lui-même se moquait dans l’intimité de ses airs tragiques, « excellent moyen, disait-il, de tenir à distance les importuns. »

S’il se débarrassait ainsi des obsessions du vulgaire, il n’arrachait point aussi facilement de son âme la tristesse qui en faisait le fond. Sa gaîté tout extérieure, provoquée par le mouvement d’un esprit vif et par le besoin de se distraire, s’éteignait subitement dès qu’il se trouvait en face de lui-même. De bonne heure, il avait témoigné des dispositions mélancoliques qui ne se dissipèrent point avec les années. Quelle triste enfance que la sienne ! Par quels commencemens douloureux il entra dans la vie ! Son père, prodigue et libertin, mourut avant d’avoir pu s’occuper de son éducation, sans même lui laisser un souvenir respecté; sa mère, tour à tour tendre et violente, l’éleva dans des alternatives de caresses et de menaces; le premier exemple, la première leçon qu’elle lui donna fut de ne jamais se contenir, de s’abandonner à tous les emportemens de la passion. Tout enfant, il la voyait mettre en pièces devant lui ses robes et ses chapeaux. Un jour, dans un accès de colère, elle lui jeta des pincettes à la tête et faillit le tuer sur le coup. « Savez-vous que votre mère est folle? lui disait un de ses camarades. — Je le sais, » répondit-il d’un air sombre. — « Laissez passer mistress Byron en fureur, » s’écriait-il en ouvrant sur le passage de sa mère une porte à deux battans. En faut-il davantage pour qu’une secrète amertume empoisonne désormais tous les biens de la vie?

Un autre malheur, dont il ne se consola jamais, assombrit encore son caractère. Un de ses pieds, tordu au moment de sa naissance, resta légèrement boiteux. On le soumit en vain, pour le guérir, aux