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son interlocuteur, fort surpris et peu édifié de cette étrange confidence. Il existe en Angleterre une série de lettres où lady Byron accuse sa fille unique, lady Lovelace, des torts les plus graves. On sait avec quelle dureté elle traita son mari. Sans admettre, comme le raconte Medwin, qu’elle ait forcé le secrétaire de Byron pour y surprendre une correspondance d’amour, il est certain que depuis la séparation elle n’observa aucun ménagement. Tant que son mari vécut, elle ne répondit à ses demandes d’explication que par un silence obstiné ; après sa mort, quand les plus simples convenances lui demandaient de se taire, elle commença de parler, et parla sans mesure. Le secret dont mistress Beecher Stowe se prétend dépositaire, qui lui fut confié, dit-elle, avec tant de solennité, avait été révélé à d’autres personnes avant elle. C’était un des sujets dont lady Byron s’entretenait le plus volontiers ; elle en parlait, non comme d’un mystère, mais comme d’un fait dont elle autorisait ses amis à se servir pour défendre sa mémoire. Seulement elle variait dans ses récits ; elle contredisait le lendemain ce qu’elle avait avancé la veille, elle ne présentait pas toujours de la même manière les actes criminels dont elle disait avoir la preuve ; elle accusait même quelquefois son mari de crimes différens sans s’embarrasser de se mettre d’accord avec ses précédentes déclarations. Plusieurs de ses amis jugeaient très sévèrement cette intempérance de langage. L’un d’eux fut chargé un jour de lui représenter qu’il n’appartenait qu’aux tribunaux de juger des crimes, qu’elle outre-passait son droit en s’érigeant en juge dans sa propre cause. Elle faisait circuler sur le compte de son mari d’abominables histoires dont la plus simple pudeur eût dû l’empêcher de parler. Elle allait jusqu’à dire que, pour éviter un éclat, mistress Leigh avait écrit et signé de sa main un aveu de ses relations criminelles avec son frère, comme si de telles horreurs s’écrivaient, comme si c’eût été le moyen d’en faire disparaître la trace.

On croyait en général dans l’entourage de lady Byron que sa raison avait subi quelque atteinte, qu’à force de concentrer ses pensées sur son désaccord avec son mari et de creuser ce douloureux sujet elle finissait par transformer en événemens réels les rêves d’une imagination malade. C’était du moins l’hypothèse la plus charitable. Si elle n’agissait point sous l’obsession d’une idée fixe, il y a des actes de sa vie, des paroles prononcées par elle, qui demeureraient sans excuses. Une personne de bon sens, en possession de toute sa raison, qui eût agi comme elle l’a fait dans ses relations avec Médora, une des filles de mistress Leigh, mériterait le mépris public. Cette infortunée jeune fille, victime d’une séduction précoce, vivait sur le continent dans une profonde détresse, sans que