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sa tante se fût jamais occupée d’elle, lorsque tout à coup lady Byron, alors en France, l’amena de Fontainebleau à Paris, et, prétextant sa ressemblance avec lord Byron, lui déclara que celui-ci était son père. Quel bien pouvait résulter d’une semblable révélation? C’était la fille préférée du colonel Leigh que lady Byron essayait de détacher ainsi du père qui l’avait élevée, au risque de lui apprendre l’ingratitude et l’oubli du respect filial. C’était à une enfant dégradée de bonne heure, qu’il eût fallu ramener au bien et relever à ses propres yeux, qu’elle fournissait à la fois une arme terrible contre une mère offensée et une excuse pour de coupables faiblesses.

Lady Byron croyait évidemment ce qu’elle racontait à Médora Leigh; la mauvaise action qu’elle commettait en lui parlant ainsi eût été un crime impardonnable, si elle avait inventé de gaité de cœur une accusation aussi horrible contre son mari et sa belle-sœur. D’où lui venait cette croyance? A quel moment cette idée fixe s’était-elle emparée de son esprit ? On ne peut supposer que ce fût avant la séparation ni pendant les quinze années qui suivirent. Durant toute cette période, elle ne témoigne à mistress Leigh que des sentimens d’estime et de confiance. Quelques bruits d’inceste avaient bien couru alors dans la société anglaise, acharnée à la poursuite de Byron et lui attribuant volontiers des crimes contre nature; mais lady Byron les repoussait pour son compte en rendant témoignage aux qualités de sa belle-sœur, en s’installant même chez elle avec une intention évidente. Une de ses amies lui ayant fait part de la calomnie qui s’attaquait alors dans quelques cercles à la personne de mistress Leigh, elle répondit le 20 février 1816 : « Je regrette profondément les bruits qui ont été mis en circulation sur les motifs qui me séparent de lord Byron; aucun de ces bruits ne peut me causer plus de tristesse que celui dont vous me parlez et qui touche au caractère de mistress Leigh. Pendant que j’ai vécu sous le même toit que mistress Leigh, tous mes amis m’ont entendue exprimer la plus grande reconnaissance et les sentimens les plus affectueux pour ses bons offices envers moi; avant de quitter la maison, j’ai écrit sur son compte, j’ai parlé d’elle dans les mêmes termes à toutes les personnes de mon intimité. » Jusqu’en 1830, rien n’altéra ces cordiales relations entre les deux belles-sœurs; lorsqu’elles se brouillèrent alors pour une question d’intérêt, lorsque des amis communs essayèrent de les réconcilier, ce fut lady Byron qui fit les premières avances, ce fut mistress Leigh qui les repoussa. Si celle-ci eût été coupable d’un crime dont lady Byron eût eu la preuve, est-ce ainsi que l’une et l’autre eussent agi?

A partir de ce moment, lady Byron, qui pardonnait difficilement, qui passa les dernières années de sa vie à se plaindre des siens, de