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Surexcitées par les prédications des marabouts, elles n’attendaient qu’une occasion pour prendre les armes et se joindre aux insurgés. La tribu des Ammals, sur le territoire de laquelle est bâti le village de Palestro, et celle des Beni-Khalfoun, qui la touche, rivales et en désaccord depuis longues années, s’étaient rapprochées récemment. Si-Saïd Ben-Ali, amin-el-oumena des Beni-Khalfoun, et El-Hadj Ahmed Ben-Dahman, caïd des Ammals, s’étaient entendus pour contrecarrer les projets de l’administration locale au sujet de l’établissement d’un marché à Palestro. L’un et l’autre prétendaient que la création d’un marché ferait tort à ceux qui existaient dans leurs tribus. Ils avaient fait plus d’une démarche en ce sens ; mais l’administration supérieure, ne consultant que la justice et l’intérêt de la commune mixte de Palestro, ne leur avait pas donné gain de cause. En apprenant cette décision, le caïd des Ammals avait déclaré à M. Bassetti, maire de Palestro, qu’il empêcherait quand même les indigènes de sa tribu de se rendre au nouveau marché.

Un des premiers jours d’avril, le même caïd se trouvait avec son fils chez un colon du village. « Celle-ci, dit Mohamed-bel-Hadj, en désignant la fille de la maison, je ne veux pas qu’on la tue quand on fera la guerre; je la prendrai pour femme. » La jeune fille comprenait l’arabe; justement effrayée de ces paroles, elle en fit part à ses parens, qui ne la prirent pas au sérieux; néanmoins elle voulut partir pour Alger, et échappa ainsi au sort dont elle était menacée. Depuis l’appel aux armes fait par El-Mokrani, les colons remarquaient un mouvement inusité parmi les Arabes. On les voyait traverser le village par petits groupes armés de fusils. Aux questions qu’on leur adressait à ce sujet, ils répondaient : « El-Mokrani doit venir par ici, nous voulons nous défendre. » Nos colons ne s’endormaient pas cependant dans une confiance absolue. Éloigné de tout centre européen, Palestro ne comptait que 112 habitans, sur lesquels 50 hommes seulement capables de porter les armes. Le maire, M. Bassetti, était venu à Alger chercher pour eux des cartouches et des fusils; il leur faisait faire l’exercice plusieurs fois la semaine. L’abbé Monginot, curé du village, avait cru devoir lui-même prendre les armes, et était devenu le premier soldat de la compagnie. En même temps, un officier du bureau arabe d’Alger, envoyé sur les lieux, signalait dans son rapport à l’autorité supérieure le péril imminent et les moyens de le conjurer. Malheureusement toutes les précautions devaient être inutiles.

Les événemens marchaient en effet. Le 19 avril, les Flissas, les Issers, les Beni-Aïcha, les Beni-Amran et les Krachnas se portaient sur le petit hameau du col des Beni-Aïcha, dont les habitans purent s’échapper à temps, mais qui fut pillé, puis incendié. Les insurgés se divisèrent alors en deux bandes : l’une, composée des Beni-Aïcha