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but, en proposant une capitulation, devenait évident : ils avaient voulu attirer les Européens dans un piège, et ils n’avaient que trop bien réussi. Un colon qui, croisant la baïonnette, refusait de livrer son fusil, est le premier renversé. Ce fut le signal du massacre. L’abbé Monginot, le brigadier de gendarmerie, le maire, sont successivement égorgés. Il y avait à la caserne trois détenus, originaires de Guergour. A peine mis en liberté, ils se signalent parmi les plus féroces assaillans et tuent impitoyablement nos colons sans défense. Dans cet affreux carnage, 41 Européens trouvèrent la mort; quelques-uns même, vivans encore, furent jetés dans les flammes. Tous les cadavres furent dépouillés, lacérés à coups de couteau. Seuls, le fils du maire, le jeune Bassetti, et le capitaine Auger furent sauvés par l’intervention de l’amin-el-oumena, qui, toujours à cheval, présidait au massacre. Peut-être le chef arabe songeait-il à se ménager des otages pour l’avenir.

Restait la maison des ponts et chaussées, où les Arabes se portent en foule. La porte de la cour, mal fermée, cède sans peine à leurs efforts : ils pénètrent dans la cour et pillent tout ce qui s’y trouve. Les deux portes de la maison elle-même sont bientôt enfoncées; les assiégés se retirent alors au premier étage après avoir coupé l’escalier, et là résistent énergiquement. Comme la lutte menaçait de durer longtemps, les Arabes se décident enfin à incendier la maison; ils mettent le feu au mobilier et jettent dans le brasier des broussailles et des herbes sèches. Déjà la fumée gagnait le premier étage; les défenseurs, presque asphyxiés, sont obligés de se retirer jusque sur la terrasse. Il était midi environ : sur un espace de 12 mètres carrés, 45 personnes étaient entassées; on y avait transporté aussi les munitions et les objets précieux. Le parapet de la terrasse n’a que 40 centimètres de hauteur : il fallait se tenir couché pour éviter les balles des assaillans; trois colons qui levaient la tête pour tirer furent tués raides. Bientôt, désespérant d’atteindre les assiégés avec leurs balles, les Arabes font pleuvoir sur la terrasse une grêle de pierres et de briques : plusieurs personnes sont ainsi grièvement blessées. La situation de ces malheureux était horrible : le soleil dardait sur eux ses rayons ardens, un sirocco brûlant les prenait à la gorge, sous leurs pieds l’incendie réduisait la maison en un véritable brasier, et ils n’avaient pas même une goutte d’eau pour étancher leur soif. Les femmes, les enfans, pleurant et gémissant, demandaient en grâce qu’on se rendît pour mettre un terme à leurs souffrances. Deux hommes même, fous de terreur et de désespoir, se donnèrent la mort, l’un en se jetant sur sa baïonnette, l’autre en se faisant sauter la cervelle.

La charpente en fer de la terrasse empêchait encore la voûte de s’écrouler; mais sous l’action du feu elle commençait à se fendre et