Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vertu chrétienne : bien des gens peuvent éprouver pour la société arabe une sorte de sympathie que nous comprenons sans peine, que nous partagerions au besoin; mais tout cela doit peser bien peu à côté de l’intérêt et de la grandeur de notre patrie. Quel est en effet le serviteur le plus utile, le plus convaincu, et, s’il faut tout dire, le plus intéressé à la grandeur française en Algérie? C’est le colon sans aucun doute, c’est celui de nos compatriotes, quel qu’il soit, qui, au prix de bien des risques et des périls, va porter au dehors le nom, le sang, la langue de la France; c’est lui aussi que nous devons encourager, aider et protéger.

A la fin de 1845, le maréchal Bugeaud, partant pour réprimer le soulèvement général provoqué par Abd-el-Kader, écrivait au maréchal Soult : « Nous avons affaire à un peuple énergique, persévérant et fanatique; pour le dompter, il faut nous montrer plus énergiques, plus persévérans que lui, et, après l’avoir vaincu plusieurs fois, comme de tels efforts ne peuvent pas toujours se renouveler, il faut, coûte que coûte, l’enlacer par une population nombreuse, énergique et fortement constituée. Hors de cela, il n’y aura que des efforts impuissans et des sacrifices qu’il faudra toujours recommencer jusqu’à ce qu’une grande guerre européenne ou une grande catastrophe en Algérie nous force d’abandonner une conquête que nous n’aurons pas su consolider. » — Enfin le maréchal duc de Malakoff s’exprimait ainsi dans la séance du conseil supérieur du 7 octobre 1861 : « Tout nous commande de fixer en Algérie une population européenne nombreuse et forte, d’abord pour transformer le sol, ensuite pour le conserver. L’effectif de l’armée ne pourra pas toujours être maintenu à son chiffre actuel. Il faut prévoir le jour où il sera diminué, et mettre dès lors nos établissemens en état de se défendre eux-mêmes. Pour cela, il n’est pas indifférent que la population européenne soit placée au hasard, il faut qu’elle occupe les points stratégiques, les grandes voies de communication, et qu’elle s’y développe avec sécurité et liberté. » Ce sont là toujours les deux termes du problème algérien : la domination assurant la sécurité, la colonisation mettant la sécurité à profit pour diminuer le plus possible les charges, les frais et les incertitudes de la domination. En résumé, l’avenir de l’Algérie n’est que dans l’accroissement numérique des colons européens, qui représentent la supériorité d’intelligence, de travail et de patriotisme. Le jour où une nombreuse et forte population européenne assurera la sécurité et imprimera sur le sol algérien la marque ineffaçable de notre civilisation, ce jour-là la France verra ses sacrifices payés au centuple, et trouvera dans la prospérité et le développement de sa colonie, outre une légitime satisfaction d’orgueil, un nouvel élément de force et de grandeur.


ERNEST WATBLED.