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Ce témoignage si formel de gratitude ne suffit pas cependant à son cœur reconnaissant, car tout aussitôt elle recommence son cantique de remercîmens presque dans les mêmes termes : « ce bon duc est le refuge assuré des pauvres femmes besoigneuses grevées injustement, lesquelles femmes ne sont pas écoutées en maintes cours. » Ainsi voilà qui est clair, le duc de Bourbon est venu en aide à la pauvre Christine; il a présenté ses requêtes, il lui a donné peut-être de l’argent, Christine ne peut donc être un témoin impartial, car son jugement doit être regardé comme le paiement d’une dette. Adressons-nous à un autre historien. J’ouvre Froissard, je recherche curieusement dans ses chroniques tout ce qui se rapporte à Louis II, et je découvre avec quelque étonnement que cet admirable narrateur n’aimait pas du tout le prince.

Ce n’est pas, comme bien vous entendez, que l’antipathie se montre d’une manière très déclarée, Froissard ne serait plus lui-même, s’il parlait d’un seigneur autrement qu’avec réserve; mais toutes les fois qu’il nomme Louis II, il a des mots en sourdine qui frappent d’autant plus qu’ils font contraste avec le ton tout confit en respect qui lui est habituel. Christine de Pisan exalte la courtoisie chevaleresque du duc; or cette courtoisie, Froissard la lui refuse, ou du moins prétend qu’elle était chez lui intermittente. Je rencontre par exemple la phrase que voici dans le récit du voyage que le duc fit en Navarre en 1387 : « partout où il venait et il passait, il était le bienvenu, car ce duc a ou avait grand’grâce d’être courtois et garni d’honneur et de bonne renommée. » Tous ceux qui ont fait de fréquentes lectures de Froissard comprendront quelle force il y a dans ce simple prétérit avait; c’est comme si l’historien avait écrit : « Autrefois le duc de Bourbon était poli ; mais il y a beaux jours qu’il ne l’est plus. » Le duc, selon Froissard, ne manquait pas seulement de courtoisie, il était orgueilleux jusqu’à la présomption, et cet orgueil, en lui aliénant l’affection des siens, en faisait un chef militaire dangereux. L’historien l’accuse très formellement d’avoir fait manquer par sa hauteur cette expédition contre les côtes barbaresques que les chevaliers français entreprirent à la fin du XIVe siècle sur la prière des Génois. Le passage est curieux et bon à citer. « Le sire de Coucy par espécial avait tout le retour des gentilshommes, et bien savait être, et doucement entre eux et avecque eux, trop mieux sans comparaison que le duc de Bourbon ne faisait; car ce duc était haut de cœur, et de manière orgueilleuse et présomptueuse, et point ne parlait si doucement, ni si humblement aux chevaliers et écuyers étranges que le sire de Coucy faisait. Et séait le dit duc de Bourbon par usage le plus du jour en dehors de son pavillon, jambes croisées, et convenait parler à lui par procureur et lui faire grande révérence, et ne considérait