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qué correspond un animal légèrement mutilé, mais où les formes du singe sont aisément reconnaissables, — au-dessous différentes variétés fabuleuses d’hommes, un homme à pieds enclavés l’un dans l’autre ou réunis en un seul, un homme à pieds de chèvre ou autrement dit un satyre, et enfin tout en bas un nègre bestial et sauvage avec son étiquette anthropologique, Ethiops, l’Éthiopien.

Eh mais! il me semble qu’avec un peu d’attention il n’est pas très malaisé de découvrir une logique sous l’apparente fantaisie de ces ornemens et une hérésie très rigoureusement déduite sous l’amusante hypocrisie de ces figures. On peut signaler cette colonne à la curiosité de M. Darwin, si, comme il est probable, il ne la connaît pas; il y reconnaîtra sans trop de peine une ébauche informe de sa doctrine de la sélection. Une explication très nettement matérialiste de la création et du développement de la vie sur la terre se laisse lire sur ce monument. Que nous disent ces produits vrais ou faux de la nature, échelonnés avec une méthode confuse sans doute, mais avec un désir visible d’ordonnance logique, aux côtés des signes du zodiaque, c’est-à-dire des signes qui marquent les divisions de l’année, sinon que la nature, aidée du temps, a produit par une activité ininterrompue et en traversant une longue série de créations soit monstrueuses, soit informes, soit incomplètes, le monde que nous habitons? Non-seulement la création a été successive pour les différens règnes de la nature, mais elle a été successive pour chacune des espèces de ces règnes et pour chacune des familles de ces espèces. D’abord la mer fut seule féconde, puis, lorsque les siècles eurent passé, la terre, découverte et séchée par un soleil brûlant, le devint à son tour, et alors apparurent de grands animaux dont quelques-uns existent encore et dont la plupart ont disparu. L’homme n’a pas toujours été tel que nous le voyons aujourd’hui; avant de l’amener à ce degré de perfection après lequel elle s’est arrêtée, la nature s’.est reprise bien des fois à son œuvre, elle a tracé bien des ébauches, essayé bien des formes, dont les satyres et les faunes, les centaures et les sirènes, sont les emblèmes ou peut-être même les figures réelles, conservées par une tradition remontant à de lointaines générations qui vécurent avant que ces monstrueux ancêtres eussent entièrement disparu. Le temps est mobile, et la vie, mobile comme lui, change, modifie et altère ses formes avec chaque mouvement de la durée. C’est vraiment le darwinisme quatre siècles avant les résultats de la science moderne, un darwinisme ignorant et superstitieux au sein de son incrédulité et de ses négations, tel en un mot que pouvait le concevoir un esprit tout fraîchement émancipé du moyen âge. Cette croyance par exemple à l’existence d’êtres hybrides, résultat d’une transaction essayée par la nature entre des formes absolument contraires de la vie, tels que les sirènes et les centaures,