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Servir de fief à un paysan, voilà le terme inévitable des plus beaux édifices depuis les tombeaux des Scipions et de Cécilia Metella jusqu’aux tours de Bourbon-l’Archambault. Je ne connais qu’une exception à cet égard, celle des superbes ruines de Crozant, placées au sein d’un des paysages les plus harmonieusement sauvages qu’il y ait certainement au monde. Ces ruines appartiennent à une vieille dame avisée qui les afferme 86 francs à une paysanne du bourg voisin. Le fermage est payé par les gratifications données par les visiteurs, mais c’est là un impôt qu’il est assez difficile de lever, car, les ruines ne pouvant être closes, l’accès en est libre, et d’ailleurs on n’a pas besoin de s’en approcher pour les admirer dans toutes leurs parties. Aussi faut-il voir avec quelle vigilance la bonne femme épie l’arrivée des voyageurs, avec quelle promptitude elle les poursuit ou même les devance, et avec quelle âpreté elle réclame la rétribution dont elle a fixé elle-même le taux à huit sous par personne ! « Mais, me dit-elle avec mélancolie, il y en a qui me renvoient promener en compagnie de ma chèvre et qui ne veulent rien me donner que des sottises. » Plus heureux est le feudataire des tours de M. le duc d’Aumale; non-seulement il ne paie pas de fermage, mais il est payé pour tenir son fief; cependant je ne crois pas qu’il en épie avec plus de négligence les visiteurs qui se montrent à l’ombre des ruines.


II. — CARACTÈRE PARTICULIER DU BOURBONNAIS. — LES FRONTIÈRES DE LA MARCHE ET DE L’AUVERGNE. — MONTLUÇON, GANNAT, AIGUEPERSE, RANDAN.

« Le Bourbonnais est une province composée de pièces de rapport, » a écrit le vieux Gui Coquille, l’historien du Nivernais. Plus je prolonge mes excursions dans cette province, et plus je vérifie la parfaite justesse de cette observation. Il y a une Normandie, une Bretagne, une Auvergne, une Provence dans la nature, mais non pas de Bourbonnais. Si l’on voulait à toute force en trouver un cependant, il ne faudrait pas le chercher en dehors du fief primitif d’Adhémar et de ses successeurs immédiats, Moulins, Souvigny, les deux Bourbons. C’est dans cet étroit rayon qu’est renfermé le Bourbonnais, sinon il n’est nulle part. Ce petit noyau de terres en effet est bien un, tant par l’aspect du paysage que par le caractère de la population, il a son originalité et sa vie propres; mais il n’en est plus ainsi dès qu’on dépasse cette limite, et les autres parties de la province étonnent par les diversités de leurs caractères et leurs physionomies en quelque sorte étrangères. Entre le Bourbonnais primitif et les districts de Montluçon, de Gannat, de Vichy et de La Palisse, il n’y a de ressemblance d’aucune sorte, ni naturelle, ni morale, et même en dépit des longs siècles, même en dépit de