Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de saint Sébastien, œuvre remarquable de second ordre, détachée probablement de quelque musée Campana ou de quelque grenier du Louvre et donnée par l’état. Malgré son mérite réel, cette toile avec sa composition quelque peu théâtrale et ses représentations d’architecture italienne fait médiocrement plaisir à voir dans cette rustique Auvergne où elle a l’air d’être égarée comme le serait un académicien parmi des pâtres. Tout autre est l’impression que laisse une petite toile d’origine italienne aussi, mais dont le caractère et le sentiment s’accordent mieux avec ceux de la contrée, et qui, selon toute probabilité, fut faite pour elle et sur place. C’est une Nativité datant de la seconde moitié du XVe siècle et signée de Benedetto Ghirlandajo, un des frères de l’illustre peintre florentin de ce nom. Aux deux côtés de la sainte famille qui occupe le centre du tableau, deux ravissantes escouades d’anges revêtus d’ornemens ecclésiastiques, tous jolis à croquer et vrais petits gentilshommes du ciel, présentent agenouillés leurs hommages à l’enfant divin, cependant qu’accoudés sur la muraille qui les sépare de la crèche les pauvres bergers contemplent avec ébahissement ce charmant spectacle, comme des manans regardent en dehors d’une palissade ou d’une grille une fête qui ne se donne pas pour eux. D’acteurs principaux qu’ils avaient été dans la scène joyeuse de la Nativité, Benedetto Ghirlandajo a fait des bergers de simples spectateurs, que dis-je, moins que cela, de purs comparses. Si ce n’est pas les bergers que Ghirlandajo a voulu représenter, c’est au moins leurs proches, les gens de l’écurie et de l’auberge qui assistèrent à la nativité. Il y a dans cette disposition quelque chose qui me toucha comme une dureté et qui m’émut presque jusqu’aux larmes. C’est en vain que je me disais que cette disposition n’est pas précisément rare dans les peintures de la première renaissance, que presque toujours les acteurs des scènes célestes y sont représentés séparés de leur cour, par exemple dans les couronnemens de la Vierge, la cruelle et inévitable loi qui régit toutes les doctrines en ce monde m’apparaissait dans cette démarcation féodale. Voilà bien l’image du spectacle que dut présenter l’église à la fin du moyen âge, quand, éloignée par le cours des longs siècles de son origine populaire, elle s’était alliée à tout ce que le monde renfermait de grand et d’illustre, et que les petits regardaient passer avec curiosité des pompes auxquelles ils ne se mêlaient pas. C’était pourtant à eux que l’ange avait annoncé la bonne nouvelle, c’étaient eux qui les premiers, bien avant les rois mages et les docteurs, étaient accourus saluer l’enfant prophétique, et c’était de leur sein même que cet enfant était sorti. Hélas ! telle est la loi absolue, inexorable, fatale, de toutes les doctrines, de toutes les idées, de toutes les ré-