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cott. Il rappelle d’une manière frappante les beaux monumens du XVe siècle, et dans le fait l’artiste s’en est inspiré avec un bon goût parfait pour mettre son œuvre en harmonie avec le caractère des tombes royales. Le prince est représenté étendu, dans l’inertie du sommeil, le diadème au front, et enveloppé dans le manteau royal. Le visage charmant, un peu replet, sourit doucement à la mort, comme lui sourient les jeunes gens qui la voient et la laissent approcher d’eux sans soupçonner son nom, surtout les jeunes gens atteints de cette même lente consomption qui enleva le duc de Montpensier comme elle avait enlevé son frère. C’est un monument bien conçu, où tout est en harmonie, attitude, expression, représentation de la réalité.

Le prince qu’il recouvre est l’auteur de Mémoires consacrés à la longue captivité de quatre années qu’il subit à Marseille, au fort de Notre-Dame-de-la-Garde, en compagnie du comte de Beaujolais ; ils sont entre les plus remarquables que nous ait laissés la fin du dernier siècle. Il n’en est pas qui peignent plus au vif et mettent mieux en relief le genre de cruauté que la révolution mit au monde, cruauté gratuite, inutile, moins fanatique que bêtement taquine, et moins féroce que brutale. Ce récit d’une grande beauté, simple, net, sans phrases et sans déclamations (elles auraient été cependant quelquefois assez bien justifiées), où les faits parlent seuls, forme la plus complète antithèse de ton, de style, de sentiment que l’on puisse imaginer avec les autres mémoires de la révolution, qui tous, de quelque plume qu’ils soient sortis, de quelque parti qu’ils nous viennent, portent la marque de l’emphase, de la déclamation sentimentale, des figures de rhétorique à outrance, hyperbole, invective ou apostrophe. Cette simplicité, d’autant plus remarquable qu’elle émane d’un âge qui d’ordinaire connaît peu et goûte encore moins la simplicité, suffit à elle seule pour trahir d’une manière certaine un esprit supérieur ; mais là n’est pas tout le mérite de ces mémoires. De l’ensemble de ces faits présentés avec une émotion contenue se dégagent une couleur sombre et une lugubre poésie qui sont la propre couleur et la propre poésie du sujet. C’est un véritable poème de geôle et de cachot, exécuté avec une si parfaite unité que l’imagination du lecteur, ramenée sans cesse au sujet lugubre et sans issue d’aucune sorte pour lui échapper, est comme mise sous les verrous et forcée de partager la captivité de l’auteur. Rien que des images et des spectacles de prison, hautes murailles arides au regard qu’elles privent de la lumière, cachots noirs séjour de la nuit, bruits de ferraille, grincement de gonds et de clés, échos prolongés de patrouilles qui s’éloignent, pas sourds de rondes de nuit qui s’approchent, brusques appels nocturnes, sursauts de terreur, cla-