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l’Alsace et la Lorraine n’avaient plus de figure à faire à l’exposition de Vienne; il leur était interdit d’y représenter la France, et y représenter l’Allemagne par le moindre contingent était pour ces deux provinces une apostasie à laquelle rien au monde n’aurait pu les amener. Et cependant quel vide leur absence allait causer, surtout pour ces impressions de tissus d’été, où l’Alsace reste inimitable, ces modèles d’élégance et de goût que chaque année elle livrait à nos étalages! Tôt ou tard, il est vrai, force sera d’en venir là; l’Alsace fera pour d’autres ce qu’elle a fait si longtemps et si bien pour nous; mais pour cette année, et à Vienne du moins, elle aura, sauf de rares exceptions, noblement et dignement protesté. Il en est de même de la Lorraine pour ses fers; ni Hayange, ni Moyeuvre, pas plus que Niederbronn, ne semblent s’être mis en frais pour faire honneur à leur nationalité allemande ; on ne se relève pas en un jour de la plus rude secousse qu’une industrie puisse recevoir, un changement de marché.

Ce qui restait à Vienne d’exposans pour les tissus de luxe n’a donc eu que des concurrens allemands, c’est-à-dire des gens que depuis longtemps nous avons l’habitude de battre. C’est par le goût, c’est par la disposition des dessins que pèchent surtout leurs étoffes. Il leur faut toujours un an pour nous copier, et, quand ils nous copient, ils nous défigurent. Ils ont une manière d’embellir les choses qui a pour résultat d’en détruire complètement l’effet. On n’a qu’à rapprocher les échantillons pour s’en convaincre, par exemple Lyon et Elberfeld pour les taffetas, Saint-Étienne et Crefeld pour les rubans de velours. Rien à redire pour le tissage dans l’article prussien comme dans l’article français, c’est par l’ornement seul qu’ils diffèrent : dans l’un on sent la lourdeur, dans l’autre la légèreté de la main; cette différence est sensible, même dans des dispositions à peu près identiques. Voilà ce qui plaçait hors ligne pour ainsi dire Lyon et Reims, qui étaient les principaux représentans de la France, l’un pour la soie, l’autre pour la laine. On eût cherché vainement ailleurs cette fermeté dans l’exécution unie à tant d’élégance, un si grand éclat dans une telle sobriété de moyens. Rien d’outré ni de trop voyant, point de tons faux ni de détail qui dépare. Et pourtant il a fallu lutter dans le jury international pour que de telles œuvres fussent classées à leur véritable rang, les défendre non-seulement contre l’Allemagne, mais aussi contre la Suisse, contre l’Italie, même contre l’Espagne, et contre ces camelots sans consistance et sans nom qui se préparent dans les harems de l’Orient. Maltraitée par un violent orage, l’exposition des tissus français n’eût pas été mieux traitée par les juges du camp, si leur défense eût été moins énergique et leur droit moins évident.