Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre la paix de la France ! Ce n’est point là certainement ce qu’ont pu vouloir ceux qui ont proposé sérieusement la prorogation. Ce n’est pas sans doute pour pratiquer cette politique équivoque et puérile que s’est reconstitué le ministère, d’où sont sortis M. Beulé et M. Batbie, de compagnie avec M. de la Bouillerie et M. Ernoul, où sont entrés d’un autre côté M. le duc Decazes, M. Depeyre, M. de Larcy, M. de Fourtou, qui était ministre de M. Thiers au 24 mai, qui sort des régions du centre droit avoisinant le plus le centre gauche.

L’enfantement de ce ministère semble, il est vrai, avoir été assez laborieux, et même en tenant compte des difficultés réelles de la situation, c’est peut-être un peu la faute de l’esprit qui règne à Versailles. On croit trop dans ces régions qu’on supplée à tout par de la finesse, de l’habileté et de la diplomatie ; la politique consiste trop dans l’art de rallier les hommes en combinant des convenances personnelles. La question après tout était on ne peut plus simple pour le moment ; un ministère sérieux aujourd’hui était, il nous semble, un ministère reconnaissant la nécessité de faire respecter la situation qui vient d’être créée, de la compléter par les lois constitutionnelles, d’organiser un régime régulier, d’inaugurer enfin une politique de trêve et de modération faite pour rallier tous les conservateurs des fractions moyennes de l’assemblée.

C’est sur ce terrain, dit-on, que M. le duc Decazes, destiné à prendre le ministère des affaires étrangères, aurait placé la question. Au premier instant, M. Beulé seul semblait devoir se retirer, cédant la place de ministre de l’intérieur à M. le duc de Broglie, qui reste toujours vice-président du conseil dans toutes les combinaisons. M. le duc Decazes aurait dit que, s’il s’agissait de remplacer un ministre par un ministre, ce n’était pas la peine, puisque la veille encore le cabinet tout entier avait obtenu un avantage assez marqué dans des interpellations relatives aux élections, que, s’il s’agissait d’inaugurer une situation nouvelle par un ministère nouveau, il fallait s’entendre sur les hommes, sur la politique. On s’est expliqué, on ne s’est pas entendu, et c’est ce qui a décidé la retraite de MM. Ernoul et de La Bouillerie, On peut donc dire que le caractère du cabinet résulte de son origine, des circonstances qui ont accompagné sa formation. Tel qu’il est, il représente assez fidèlement la situation et la majorité possible. Il donne timidement une main au centre gauche par M. de Fourtou, une autre main à la droite modérée par M. de Larcy et M. Depeyre, en s’appuyant fortement au centre droit par M. le duc de Broglie et M. le duc Decazes, en gardant aussi dans M. Magne un ministre des finances habile et conciliant. Quelle sera maintenant sa politique ? Le meilleur moyen pour le ministère, c’est de compter beaucoup moins sur des mesures répressives que sur l’autorité d’une modération sérieuse et