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complissement de ce devoir barbare est peut-être entré pour une bonne part dans les meurtres sans nombre qui ont souillé les Mérovingiens. Lorsqu’il manquait à ses engagemens, il était privé de son titre, et chacune des causes de sa déchéance répondait à l’une de ses obligations. Ces causes étaient : la trahison envers le souverain, — l'antrustionat contracté sans autorisation avec un autre prince, — la désertion ou le refus de répondre au ban de guerre, — la défense insuffisante de la personne royale en présence d’un danger imminent, — un acte de lâcheté sur le champ de bataille, — l’abandon de la cause du roi dans ses querelles privées. L’antrustionat, étant un engagement conditionnel et d’homme à homme, pouvait cesser du consentement des deux parties, et dans tous les cas il finissait avec la vie du prince vis-à-vis duquel il avait été contracté ; on ne peut donc l’assimiler à la noblesse, prise dans le sens moderne que nous y attachons, car il était purement personnel, résiliable et viager ; il n’appartenait pas, comme plus tard le titre de comte ou de baron, à des familles investies de prérogatives publiques, exclusives et héréditaires, et M. Deloche dit avec raison que, si on voulait admettre sous les Mérovingiens l’existence d’une sorte de noblesse, il faudrait la chercher dans une qualité immuable, non concessible, transmissible par la naissance, c’est-à-dire dans la qualité d’homme de race franque ou de barbare salien, formant une caste supérieure en droit et en fait au reste de la population, ayant des avantages et des immunités par la seule vertu de l’origine, à l’exclusion des individus d’origine différente.

La truste est mentionnée pour la dernière fois en 877 dans le deuxième capitulaire de Quierzy ; le nom d’antrustion disparaît vers le même temps. Les liens qui unissaient les hommes libres au roi se relâchant de plus en plus sous les derniers Carlovingiens, le vieux compagnonnage germain disparaît devant le régime du vasselage, et vers la fin du xe siècle le vasselage se transforme à son tour dans le système féodal, qui triomphe définitivement avec l’avénement de la dynastie capétienne.

On le voit par les détails qui précèdent, et qui sont loin d’ailleurs de reproduire tous les faits du livre que nous signalons aux amis de la saine et forte érudition, M. Deloche a exposé avec une grande sûreté de critique les origines et le caractère de l’antrustionat. Il convient d’ajouter que son travail, tout en embrassant dans l’ensemble l’histoire de cette institution, ne s’y enferme pas, et qu’il touche en passant à quelques-unes des questions les plus intéressantes de la période franque. Nous citerons entre autres les passages relatifs à la condition des personnes aux divers degrés de la hiérarchie sociale. C’est comme un long défilé de Gallo-Romains et de barbares où se mêlent toutes les grandeurs et toutes les misères des vainqueurs et des vaincus, les convives du roi et les antrustions, les comtes, les centeniers et les dizainiers, les