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dissoutes ; elles s’étaient prorogées en déléguant leurs pouvoirs à une commission permanente qui citait les ministres à sa barre. Les interrogatoires qu’elle leur faisait subir étaient de semaine en semaine plus pressans, et trahissaient des amertumes mal contenues, des projets qu’on n’avouait pas encore. Elle leur demandait compte également de ce qu’ils faisaient, de ce qu’ils ne faisaient pas et de ce qu’ils laissaient faire ; elle leur signifiait en toute rencontre qu’ils tenaient leur autorité de l’assemblée qui les avait nommés. Elle exigeait en quelque sorte qu’ils renouvelassent leur acte d’allégeance, et les traitait en commis qu’on peut d’un jour à l’autre casser aux gages. Les ministres essuyaient ces hauteurs et ces remontrances avec une tranquillité ironique que rien ne déconcertait. Ils représentaient à leurs censeurs qu’il n’y a point de fête sans vitres cassées, point de révolution sans quelques désordres dans les rues, les assurant au surplus que le gouvernement n’avait garde de composer avec l’émeute, que les troubles dont on se plaignait touchaient à leur terme, que la situation s’améliorait à vue d’œil. En ce qui concernait les droits respectifs du conseil exécutif et des cortès, ils se contentaient d’insinuer que le mérite n’est pas grand de souffrir ce qu’on ne peut empêcher, qu’en remettant les portefeuilles aux républicains les radicaux avaient fait de nécessité vertu, et s’étaient imposé un renoncement humiliant pour se préserver d’un désastre, que les fictions constitutionnelles n’ont de prestige que dans les jours tranquilles, qu’au lendemain d’une révolution le droit appartient à qui dispose de la force. Sans contredit, la commission permanente aurait eu quelque peine à convertir à ses doctrines les volontaires de la liberté qui, coiffés de casquettes rouges, défilaient perpétuellement dans les rues de Madrid aux sons de la Marseillaise et aux cris mille fois répétés de viva la federal !

En même temps qu’ils conversaient aigrement avec les ministres, les radicaux s’étaient mis à négocier avec les conservateurs. Quoiqu’ils eussent peu de goût les uns pour les autres, le danger commun les rapprochait. Conservateurs et radicaux avaient les mêmes griefs, les mêmes appréhensions. Ils s’accordaient à penser que la faiblesse du gouvernement, ses fâcheux compromis, son indulgence excessive pour les brouillons et les casse-cous du parti intransigeant, préparaient à l’Espagne un redoutable avenir. Ils étaient également convaincus que, si le pouvoir exécutif n’était pas changé avant l’élection des cortès constituantes, l’opposition n’avait aucune chance de s’y faire représenter. La présence de M. Pi au ministère de l’intérieur assurait d’avance le triomphe des candidatures fédéralistes. D’ailleurs, le gouvernement fût-il résolu à respecter la liberté des comices, son autorité étant méconnue dans un grand