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cher le grelot. Longtemps effacé par quelques-uns de ses collègues, il avait repris ce jour-là le premier rôle ; il était l’homme de la situation, et, dans la pensée de beaucoup de gens, le chef du nouveau gouvernement qu’on se disposait à proclamer. Les longs discours n’étant plus de saison, on pensait qu’il ne parlerait que pour la forme, qu’après une courte et véhémente préface il réclamerait énergiquement la convocation des certes, peut-être le changement immédiat du ministère. Son attitude et son langage déconcertèrent toutes les conjectures. Il prononça un verbeux plaidoyer dont le contenu n’étonna pas moins que la longueur. Il signala les services essentiels que les radicaux avaient rendus à la république, la noire ingratitude dont on avait payé leur dévoûment. Tel un auteur dramatique qui a fait une pièce en collaboration, et qui, rappelant à son associé les heureuses idées qu’il lui a fournies, lui reproche de s’être fait la part du lion dans le succès et dans les bénéfices. L’orateur alla même jusqu’à insinuer en termes peu couverts que son parti, désabusé depuis longtemps sur les chances de la royauté étrangère, avait travaillé en secret à son renversement ; il se vanta que pour sa part, si le roi se fût permis de renouer avec les conservateurs, il n’aurait pas balancé en sa qualité de président à transformer les certes en convention nationale. Il conclut en demandant aux ministres s’ils ne songeaient pas à rétablir un pacte d’alliance entre les républicains de la veille et les radicaux. À ce prix seulement, ils pouvaient recouvrer la bienveillance des classes moyennes, relever le crédit de l’état, fortifier la discipline dans l’armée. La prudence leur faisait un devoir de donner des gages à leurs anciens alliés, d’ajourner les élections, et de s’entendre avec les certes radicales pour asseoir solidement la république.

Quel que fût le dessein de M. Rivero, son discours ressemblait beaucoup moins à une déclaration de guerre qu’à une proposition d’accommodement. Il paraissait en appeler à l’équité de ses adversaires, leur mettre le marché à la main. Pouvait-on dire plus clairement : « Nous avons fait une paix fourrée avec les conservateurs, et nous tenons un maréchal dans notre manche ; cette alliance vous est bien dangereuse, ne ferez-vous rien pour la rompre ? » Si le ministère avait eu quelque inquiétude, ces conclusions inattendues la dissipèrent ; il respira, un vainqueur qui demande à traiter confesse qu’il doute de sa victoire. Il répondit par la bouche de M. Castelar que la république se gardait bien de méconnaître les bons offices des radicaux, qu’elle regrettait sincèrement les mésintelligences qui l’avaient brouillée avec ses alliés, que leur impatience était cause de tout le mal, qu’ils avaient paru trop pressés de toucher le prix de leurs services, qu’ils eussent à s’effacer quelque temps encore et à