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à traiter séparément avec eux. Les radicaux soupçonnaient le duc de la Torre de vouloir se servir d’eux pour se rendre maître de tout ; ils craignaient qu’après la victoire il ne s’empressât de les évincer. De part et d’autre, la crainte d’être dupe avait paralysé les courages, et on s’en était tenu à une vaine démonstration. Un proverbe espagnol dit qu’on ne peut à la fois carillonner et aller à la procession, no se puede repicary y andar en la procesion. Conservateurs et radicaux s’étaient pendus aux cloches, et la procession s’était débandée faute d’un chef pour la conduire. Au reste, se fussent-ils mieux entendus, il est douteux qu’ils eussent mieux réussi. Les temps n’étaient pas mûrs ; les réactions ne doivent leurs chances de succès qu’à la banqueroute des révolutions ; il leur est facile alors de recruter partout des régimens d’espérances déçues et de patiences lassées. Un enfant, dont le tambour est tout neuf, s’indigne qu’on veuille le crever ; laissez-le faire, lui-même le crèvera demain. Au 23 avril, le fédéralisme tenait encore l’Espagne sous le charme magique de son mystère. Amoureuse de sa marotte, elle en faisait tinter joyeusement les grelots ; elle se fâcha tout rouge contre ceux qui en voulaient à son hochet et à sa musique. Demandez-lui aujourd’hui ce qu’elle en pense.

Les colères espagnoles sont terribles, mais courtes. Pendant plusieurs jours encore, il régna quelque émotion dans Madrid ; toutefois les scènes de désordre et de violence furent rares, le vainqueur n’abusa pas trop de son triomphe. Il fallut permettre aux volontaires de la liberté de violer quelques domiciles où ils s’imaginaient que les chefs de la contre-révolution se tenaient cachés. On eut soin de diriger leurs perquisitions dans des maisons où il n’y avait rien à trouver. Ceux qu’ils cherchaient étaient en lieu sûr ; ils quittèrent leur refuge quelques jours après pour gagner incognito la France ou le Portugal. Les autorités s’appliquèrent avec un zèle louable à rétablir la tranquillité dans les rues, sinon dans les têtes. Madrid ne tarda pas à reprendre son aspect accoutumé. Un étranger s’étonnait de ce prompt apaisement et en félicitait un conservateur espagnol, qui lui répondit avec mélancolie : « Il est dur pour le sage de devoir son salut à la tempérance des fous. »

Le 23 avril venait de confirmer la victoire républicaine du 23 février ou, pour parler plus exactement, d’en aggraver les conséquences. Le lendemain parut dans la gazette officielle un décret qui dissolvait non-seulement la commission permanente, mais les cortès elles-mêmes, dont les ministres étaient les mandataires. Par cette mesure, le gouvernement provisoire détruisait de ses propres mains l’acte qui légitimait son autorité. Il n’avait plus d’autre raison d’être que de représenter la révolution, et ne pouvait plus s’appuyer que