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blesse, et surtout, messieurs, que personne ne puisse dire que la patrie a péri dans nos mains ! »

Schiller disait : C’est par religion que je ne professe plus aucune religion. M. Castelar pouvait alléguer une conviction supérieure pour justifier son infidélité à ses convictions. On peut sans honte abjurer ou ajourner une utopie ; celui-là seul se déshonore qui renie la liberté après l’avoir connue, car elle seule est un principe, et il n’y a point de recours contre les principes, point d’excuse pour qui les trahit. Les accens émus d’un honnête homme éloquent triomphèrent de toutes les objections des cortès. L’émeute n’était plus la maîtresse de Madrid, et les casquettes rouges apprenaient à respecter la garde civile. Les clubs se trouvaient réduits à l’impuissance, non par des lois coercitives, mais par le discrédit profond qu’avaient attiré sur eux leurs déclamations et leurs violences. M. Castelar fit ses conditions à son parti, et son parti les accepta.

La mise en vigueur de la loi de sûreté publique, l’application rigoureuse du code militaire, le règlement immédiat de la question des artilleurs à l’avantage des parties lésées, les commandemens confiés à des généraux de toutes les opinions et le mérite obtenant le pas sur le zèle intéressé, les corps de volontaires réorganisés ou dissous et l’appel de toutes les réserves, les débats sur le projet de constitution indéfiniment ajournés, les cortès prorogées jusqu’en janvier prochain, tel était le programme du nouveau ministère. Les cortès entrèrent en vacances après avoir nommé une commission permanente qui, présidée par M. Salmeron, n’a point mis d’entraves à la liberté d’action du pouvoir exécutif. L’Espagne vit pour la première fois se faire une éclaircie dans son ciel. La logique des écoles est une dangereuse maîtresse de la vie humaine, les dogmatiques et les infaillibles sont la peste des nations ; elles tresseraient volontiers des couronnes à qui se laisse arracher par l’expérience « cet aveu d’avoir failli qui coûte tant à notre orgueil. » Si la république espagnole vit encore, c’est une inconséquence qui l’a sauvée.


III.

Le gouvernement que l’Espagne s’est donné le 8 septembre s’est trouvé aux prises avec une tâche aussi laborieuse qu’effrayante. Six mois d’anarchie et de licence avaient faussé ou démonté tous les ressorts de l’état. Le mal était si grand qu’on pouvait se demander s’il n’était pas sans remède. La politique inaugurée par M. Castelar a remporté d’emblée deux avantages. Pour ranimer dans le soldat le sentiment de l’honneur et le respect de la discipline, il a suffi de