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carlistes ; alors on pourra penser à conjurer la banqueroute et amender un état de demi-faillite, qui pour le moment demeure sans remède. Le malheur est que, pour faire de bonne stratégie et pour en finir avec le carlisme, il faut avoir de l’argent, puisqu’il est le nerf de la guerre. Tel est le cercle vicieux où se débat le gouvernement de la république.

Un autre danger l’attend. Au mois de janvier prochain, les cortès reprendront leurs séances, et les questions politiques, sacrifiées pour un temps, s’imposeront de nouveau. Il faudra constituer l’Espagne, fixer le régime sous lequel elle doit vivre. Quelques argumens qu’on puisse présenter à la décharge de la république fédérale, les faits ont parlé, et toute doctrine est jugée sur ses conséquences. L’Espagne sait qu’elle a failli périr. Cette Isis mystérieuse, qui lui promettait la paix et le salut, a déchiré ses voiles ; elle lui est apparue sous les traits d’une divinité farouche et pillarde. L’Espagne n’oubliera pas cette apparition, ni son mécompte, ni son épouvante. Il est des mots qu’elle ne peut plus entendre sans frémir ; elle fermera la bouche à ses tribuns en leur répétant ce qui fut dit jadis à un avocat célèbre : « Les malheurs naissent sous vos paroles. » Permis à un chimiste qui se livre à de savantes études sur les matières explosibles, et qui en dépit de ses précautions voit sa cornue lui éclater dans les mains et dans les yeux, de recommencer courageusement son expérience, mais les peuples ne se prêtent pas deux fois à de pareilles épreuves. Ils ne se croient point tenus d’exposer leur existence pour enrichir la science de conclusions nouvelles ; ils jetteront plutôt par les fenêtres et la cornue et le chimiste.

Le cantonalisme a tué le fédéralisme ; la seule république possible en Espagne est la république unitaire. Quand les cortès s’assembleront de nouveau, le gouvernement se verra contraint de passer condamnation en bravant les reproches de ses amis et le courroux des intransigeans, ou d’engager une lutte ouverte avec l’opinion publique. Il ne peut se tirer d’embarras que par une résolution hardie, par un héroïque sacrifice. Il est de son intérêt d’arrêter d’avance son plan de conduite, de ne point attendre qu’on lui force la main ; il perdrait toute autorité, s’il paraissait se laisser traîner à la remorque. On doit lui souhaiter d’avoir l’audace et même l’effronterie de son repentir ; c’est encore une manière de faire figure dans ce monde.

Il est d’autant plus nécessaire que le gouvernement fasse résolument son choix qu’autour de lui tous les anciens partis sont occupés à rédiger leur programme et à prendre position. La journée du 23 avril les avait réduits au silence. Après le 8 septembre, ils ont fait parvenir aux nouveaux représentans du pouvoir le témoignage