Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où il écrivit, c’est-à-dire dans un temps où la transformation de la chrétienté s’opérait au sein des communautés, mais ne frappait pas encore les yeux des indifférens, les chrétiens avaient été ostensiblement séparés du judaïsme, il eût été forcé d’en parler, pour les condamner probablement et les maudire, mais il n’aurait pu se taire.

Ces rapports mal définis de l’Evangile avec la religion juive furent la grande cause de désunion parmi les chrétiens des premiers jours. Jésus avait disparu sans trancher la question. Deux choses sont certaines pour nous, qui pouvons aujourd’hui la juger avec une entière impartialité. Il est évident que les principes religieux de Jésus n’avaient qu’à être appliqués avec quelque rigueur pour substituer une religion vraiment universelle à la religion locale et nationale du peuple juif; mais il ne l’est pas moins que cette application n’avait pas été faite de son vivant, qu’il avait reconnu au peuple juif une certaine primauté, une sorte de droit d’aînesse dont il ne tenait qu’à ce peuple de s’assurer les avantages, qu’il avait vécu lui-même sous la loi juive, que ses premiers disciples en étaient les dévots observateurs, qu’en un mot, si l’esprit de son enseignement donnait raison à Paul proclamant la déchéance de la loi, la forme, la lettre, fournissaient des argumens spécieux à ceux qui, comme Pierre, n’osaient pas, ou, comme Jacques, ne voulaient à aucun prix s’émanciper des obligations légales. Ce différend était fort grave. La loi juive était à la fois religieuse, morale, civile et rituelle. Elle réglementait la vie tout entière. Elle prétendait diriger la vie conjugale, les travaux professionnels, les transactions commerciales, jusqu’aux alimens quotidiens et à la manière de les préparer. Celui qui l’adoptait pour sa loi souveraine se condamnait par cela même à vivre au milieu du monde romain à peu près comme vivrait parmi nous un moine persistant à observer les règles de son couvent tout en restant dans la société. Aussi ce genre de vie n’était-il praticable que là où les Juifs de naissance ou prosélytes formaient un noyau assez considérable pour réaliser les conditions matérielles et sociales d’une telle existence. Les juiveries du temps formaient quelque chose d’analogue aux communautés moraves, ces couvens industrieux d’hommes et de femmes mariés soumis à une discipline spéciale. Le mouvement prononcé qui portait tant d’esprits vers le monothéisme et les religions orientales valait au judaïsme des convertis assez nombreux, surtout parmi les femmes. Toutefois ce n’étaient que des exceptions bien rares au sein de l’énorme masse païenne, et jamais les multitudes n’auraient consenti à se laisser façonner par une règle de vie aussi étrangère à leurs habitudes. Ceux pourtant qui s’étaient crus obligés de l’adopter et dont la faiblesse