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répugnance à reconnaître le caractère purement idéaliste du quatrième évangile l’avait entraîné à de fâcheux compromis avec la logique de l’histoire. Dans le livre de l’Antéchrist, nous avons à relever des complaisances qui étonnent chez un penseur aussi libre, et qui s’expliquent seulement par cette tendance conservatrice dont nous croyons avoir indiqué le secret mobile.

Par exemple, le savant auteur se trouve en face de plusieurs questions que la critique contemporaine s’accorde de plus en plus à résoudre dans un sens négatif. Les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens sont-elles authentiques, c’est-à-dire réellement écrites par l’apôtre Paul? La première épître dite de Pierre est-elle, comme la seconde l’est certainement, un de ces nombreux traités pseudonymes si fréquens au sein de tous les partis dans cette période de l’histoire? Est-il vrai que l’apôtre Pierre ait été à Rome et y ait subi le martyre? Faut-il croire que l’apôtre Jean y a été aussi, qu’il a été plongé dans l’huile bouillante, et qu’ayant échappé aux suites inévitables, dirait-on, d’un pareil supplice, il a vécu longtemps après comme une sorte de patriarche au milieu des églises d’Asie-Mineure? Sur tous ces points, on reconnaît bien la probité scientifique de l’auteur, qui ne cherche pas à nier la force des objections, mais on le voit plus contrarié que charmé de devoir la reconnaître. En tout cas, il s’ingénie à trouver des moyens termes qui lui permettent de conserver au moins la substance de ces faits dénaturés ou grossis par la légende. Ainsi M. Renan ne se dissimule pas que la manière dont les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens présentent la personne et l’œuvre du Christ ne ressemble guère à la christologie des épîtres certainement authentiques. — Admettons, nous dira-t-il, que les hommes apostoliques variaient souvent et pouvaient user trois ou quatre théories dans leur vie. — Voilà une bien forte consommation; avaient-ils donc tant de théories à leur disposition? Et cela nous fera-t-il mieux comprendre comment à un homme du ciel, d’origine supra-terrestre, mais très positivement homme, un seul et même écrivain substitue, sans avoir l’air de s’en douter, un principe cosmique, un être métaphysique central dans lequel se résolvent les antinomies universelles? Ailleurs, pour sauver la première épître attribuée à Pierre, on nous invite à supposer que le secrétaire de l’apôtre s’est complu en la rédigeant à emprunter des locutions, des phrases entières, au langage, déjà connu et passé à l’état de monnaie courante, de l’apôtre des gentils. Ainsi s’expliqueraient les étonnantes analogies de style et d’idées que l’on remarque entre cette épître et celles qu’il faut attribuer à Paul ou à son école. L’hypothèse risque fort de ne pouvoir être prise au sérieux, et il suffit de la presser un peu pour aboutir à cette conclusion, que ceux qui