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doxie fit oublier cette question avec bien d’autres jusqu’au réveil de la critique religieuse. La même répugnance contre le millenium poussa beaucoup de protestans plus ou moins rationalistes à nier l’authenticité apostolique de l’Apocalypse. On démontrait, et cela n’était pas difficile, qu’il n’y avait pas moyen d’assigner un même auteur au quatrième évangile et à la vision de Patmos, et, cet évangile étant regardé comme l’œuvre certaine de l’apôtre Jean, l’Apocalypse devait avoir été écrite par un autre. Les choses changèrent lorsqu’il fut prouvé que le quatrième évangile avait été écrit au IIe siècle, et non par l’apôtre Jean, et la critique de Tubingue se prononça pour cette raison même en faveur de l’authenticité de l’Apocalypse. Depuis, le problème a été examiné de nouveau sous ses différentes faces, et la critique indépendante incline désormais à penser que, semblable en ce point à toutes les apocalypses, la nôtre est pseudonyme. Seulement cette pseudonymie viendrait se heurter contre une difficulté sérieuse, s’il est vrai que l’apôtre Jean fût encore de ce monde quand elle fut écrite, et qu’il eût survécu de longues années à la publication des visions rédigées sous son nom; mais toutes ces traditions johanniques prêtent le flanc à des objections nombreuses. M. Scholten par exemple croit pouvoir démontrer que Jean était déjà mort quand l’Apocalypse fut écrite. M. Renan, fidèle à sa prudence habituelle, refuse de se prononcer catégoriquement; toutefois il penche fortement en faveur de l’authenticité. Il se fonde principalement sur la teneur des messages insérés dans l’Apocalypse à l’adresse des églises d’Asie, lesquels, dit-il, ne peuvent provenir que d’un écrivain qui les connaissait bien et pouvait leur parler avec autorité. Nous devons faire observer d’abord que l’auteur de l’Apocalypse pouvait en effet très bien connaître les églises d’Asie, mais que cela ne prouve en rien son identité avec l’apôtre Jean; en second lieu que, parlant au nom d’un apôtre ou plutôt du Christ lui-même, dont il se disait le secrétaire, cet auteur n’avait aucun besoin d’user de ménagemens en s’adressant à ses lecteurs chrétiens. Ne voyons-nous pas de nos jours, dans les communautés protestantes, des exaltés sans aucun mandat censurer avec la dernière âpreté, comme si Dieu lui-même parlait par leur bouche, leurs coreligionnaires, leurs consistoires et leurs pasteurs? Du reste M. Renan ne se dissimule pas que bien des choses, à l’intérieur du livre lui-même, ne conviennent que fort mal à l’apôtre Jean. A plusieurs reprises, l’auteur parle des apôtres comme quelqu’un qui ne fait pas lui-même partie du collège apostolique. On ne reconnaît guère dans ses descriptions du Christ glorifié l’un de ceux qui auraient vécu dans l’intimité de Jésus. Devinerait-on enfin l’ancien pêcheur de Béthesda sous les traits de ce scribe versé dans