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trice, de 1770 à 1780, une correspondance secrète la concernant, et qu’elle ignora toujours. Nul des contemporains en France, sauf l’abbé de Vermond, qui assistait Mercy de ses informations, n’en sut davantage, et nul dans les états autrichiens, hormis Joseph II, le prince de Kaunitz, le baron de Pichler, secrétaire intime, et, en quelques occasions, le prince de Starhemberg, ministre de Marie-Thérèse aux Pays-Bas; encore ces derniers, sauf Pichler, ne connurent-ils pas les rapports privatissimes. Un tel secret est chose toujours rare, et l’était surtout en un pareil temps. Jamais le secret des lettres et dépêches n’avait eu moins de sécurité. Louis XV établissait par pur amusement, comme on sait, un espionnage particulier des postes. Voulait-on répandre une nouvelle, vraie ou fausse, sans en paraître le propagateur ni l’auteur, la poste fournissait un moyen infaillible : les gouvernemens étrangers savaient en user. Les courriers de cabinet n’offraient pas une voie beaucoup plus sûre ; souvent, dès avant le départ, les dépêches étaient livrées par l’infidélité des bureaux. C’est dans un tel temps, c’est quand l’opinion publique, en France et ailleurs, épiait avec une avidité souvent malveillante et jalouse l’influence autrichienne, que la correspondance entre Mercy et Marie-Thérèse concernant Marie-Antoinette et Versailles est demeurée parfaitement secrète. Celle-ci ne la soupçonna jamais. Si quelquefois elle s’étonnait de voir sa mère instruite de certaines circonstances tout intérieures, elle rejetait la faute, sans trop d’examen, sur ces maudits espions de Frédéric II qui, croyait-elle, pénétraient partout et répandaient en Europe, suivant les ordres de leur maître, des calomnies et des médisances intéressées.

On devra donc enfin aux archives de Vienne, sur cette première partie de la vie de Marie-Antoinette, presque ignorée et pourtant si décisive, des informations écrites au jour le jour par un témoin dont une mère inquiète, une impératrice fidèlement obéie, invoque et exige d’exacts renseignemens. Mercy peut bien être tenté de se montrer indulgent ou flatteur, de voiler ou de dissimuler; mais Marie-Thérèse ne le lui permet pas : les plus sérieux griefs seraient ceux qu’il pourrait le moins passer sous silence. On aura, soigneusement observées et notées, toutes les actions et, peu s’en faut, toutes les pensées de Marie-Antoinette pendant la première moitié de son séjour en France. Quelle épreuve pour une personne historique, pour une reine, pour une femme, que cette lumière à flots, en présence de la postérité, sur sa vie de chaque jour, nous pourrions dire sur son corps et sur son âme, durant ses années de jeunesse, de quinze à vingt-cinq ans, parmi tant de pièges et de dangers! Voyons, par la simple analyse de ces documens, ce que découvrira cette lumière. La mémoire de Marie-Antoinette, di-