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sons-le tout de suite, n’aura pas lieu d’en être offensée. On ne trouvera pas l’idole que la sensiblerie des salons avait forgée, encore moins la furie qu’avaient imaginée les clubs et les pamphlets en délire; on verra une reine qui a partagé quelques-unes des faiblesses, non pas les vices de son temps, et qui a montré dès cette première période, sinon déjà un grand caractère, — peut-être n’était-ce pas le moment encore, — du moins un cœur bien placé, donnant à entendre qu’en face de l’excès du malheur, opposant la force morale, elle ne se courberait pas honteusement.


I.

Que Marie-Antoinette, à son arrivée en France, eût eu grand besoin de rencontrer une affectueuse et constante protection, et qu’elle n’en trouvât aucune, personne ne l’ignore. Elle est encore enfant, puisqu’elle n’a que quatorze ans et demi: son instruction est tout à fait inachevée : elle ne sait pas même bien écrire; elle parle incorrectement et le français et même l’allemand, qu’elle va bientôt presque complètement oublier; elle a peu de lecture, nulle habitude de réflexion. Son éducation n’est pas moins incomplète : peu de tenue, une extrême indolence, un grand besoin de plaisir ou seulement de distraction; avec cela cependant certains dons précieux, une sincérité naïve, une aimable ouverture de cœur, et, quand elle ne s’abandonne pas, une grâce et un charme naturels invoquant par eux seuls, ce semble, la protection et le respect. Alors qu’elle a si grand besoin de direction, la cour qui la reçoit en 1770 ne lui offre que périls. Le pire de tous, le plus douloureux et le plus inattendu est l’étrange situation qui lui est faite par son mari. On sait quelle fut auprès d’elle la timidité inouïe de Louis XVI, et qu’il fallut sept années et les conseils de Joseph II pour qu’elle acquît la double dignité d’épouse et de mère, bizarre épisode, dont l’influence a été grande sur son caractère et sur sa destinée. Marie-Thérèse avait toutes les raisons du monde de se préoccuper vivement d’un sujet pour elle en même temps si grave et si délicat.

Auprès de son mari, elle rencontrait ses deux beaux-frères, le comte de Provence et le comte d’Artois, qui ne surent jamais que la jalouser et la compromettre. Le premier, à qui l’abandon où elle demeurait pendant tant d’années suggérait des espérances prématurées de succession, tantôt flattant sa belle-sœur, tantôt frayant avec ceux qui médisaient d’elle, dissimulait mal ses vues égoïstes, et pouvait descendre à de lâches perfidies; ses brusques manières, se rencontrant avec la gaucherie du dauphin, amenaient de singulières scènes d’intérieur, comme ce jour où la dauphine fut obligée de les