Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refuge. Elle était repoussée de ce côté d’abord par l’indolence invincible du vieux roi. Il avait montré cette indolence dans sa politique en demeurant incapable de poursuivre jusqu’à l’action ses velléités, souvent généreuses et intelligentes; il en faisait preuve aussi dans sa vie privée, lorsqu’il abdiquait entre les mains de la maîtresse en titre toute influence même intérieure, et refusait de communiquer soit avec ses enfans, soit avec la favorite elle-même, en cas de réponses nécessaires, autrement que par de simples billets, dont Mercy nous cite quelques-uns, facilement écrits. On sait de plus quelle répugnance inspirait à Marie-Antoinette, comme au dauphin, la présence de Mme Du Barry; de nouvelles preuves pourraient rappeler quelles pénibles concessions lui furent imposées à l’égard de cette personne pendant ses années de dauphine, et de quelle invincible dignité elle sut à ce propos ne jamais se départir.

Il y avait bien Mesdames, filles de Louis XV, c’est-à-dire Mme Adélaïde, Mme Victoire, Mme Sophie et Mme Louise, la carmélite de Saint-Denis. Il semblait qu’auprès de ses tantes Marie-Antoinette dût rencontrer un affectueux accueil, de précieux conseils, une direction utile. Ce fut, peu s’en faut, le contraire qui arriva, non pas sans doute que Mesdames se soient montrées, comme on l’a dit, hostiles dès son arrivée jusqu’à espérer de la faire renvoyer à Vienne; elles furent plus politiques. Elles embrassèrent leur jeune et très innocente rivale, mais pour l’annuler. Désireuses de conserver leur influence, et surtout la représentation et les honneurs que devait leur enlever une dauphine, elles s’efforcèrent de la dominer, colorant leur conduite aux yeux de la cour, et peut-être à leurs propres yeux, par le prétexte de l’incontestable utilité dont aurait été pour elle une protection si naturelle et si honorable. Marie-Antoinette accepta et subit tout d’abord cette influence, qu’elle devait croire profitable et sincère, mais qui, venant de telles personnes, ne pouvait être ni l’un ni l’autre. Mesdames, sans mériter les calomnies infâmes qu’on inventa contre elles, étaient de vieilles filles, dévotes, tracassières, désagréables à leur père même, inconnues au dehors, enfermées dans une étroite étiquette. Mme Adélaïde, l’aînée et la plus ardente, menait les autres et vivait tout occupée d’intrigue; elle était violente et agressive contre Mme Du Barry, mais toujours prête cependant, en vue de certaines basses menées, à se réconcilier, comme jadis elle avait fait avec Mme de Pompadour, jusqu’à accepter avec une singulière confiance un confesseur choisi par une telle main. Mme Louise, la carmélite et la plus jeune des tantes, servait d’intermédiaire et d’instrument à la petite coterie de Mesdames pour les grâces à obtenir de l’église; c’était elle qu’on faisait agir, par exemple pour obtenir du pape d’annuler le mariage de Mme Du Barry, après quoi on espérait faire épouser la favorite