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par Louis XV. Mesdames profitèrent de leur facile ascendant et de l’ennui qu’éprouvait Marie-Antoinette à tenir la cour pour obtenir que les réceptions eussent lieu chez elles. Assistant comme naguère aux présentations, elles ne permettaient pas que la jeune dauphine y fit bonne figure par quelques réponses, mais, prenant sa place, et pour la suppléer fort mal, elles mâchonnaient quelques mots, comme dit Walpole, et expédiaient mesquinement les choses, contentes d’avoir cru seules paraître. Ainsi envahissantes dans l’intérieur, elles n’aimaient pas se montrer au dehors, et voulaient inspirer à la dauphine la même crainte, tout cela au grand mécontentement de l’impératrice, qui grondait sa fille et la pressait de s’affranchir. Marie-Antoinette finit par secouer le joug, mais ce ne fut pas sans rester de ce côté exposée à une sourde guerre, qui s’ajouta comme un dangereux encouragement à d’autres hostilités plus ouvertes.

Aussi bien que la famille royale, la cour était divisée en petites factions où s’aigrissaient les esprits. A peine la dauphine est-elle arrivée en France qu’elle voit tomber le duc de Choiseul, le ministre auteur de son mariage, celui qui promettait d’être, avec tout le parti libéral, son guide et son appui. A sa place triomphent la Du Barry et le ministre qui s’est fait sa créature, le duc d’Aiguillon. Une part de la victoire revient en outre à ce qu’on appelle la cabale des dévots, ennemie jurée de Choiseul à cause de l’expulsion des jésuites et de l’affaire des parlemens. Dans cette cabale figurent surtout Mme de Marsan, gouvernante des enfans de France, et qui avait élevé le dauphin, — le duc de La Vauguyon, gouverneur du comte d’Artois et qui l’avait été aussi du dauphin et du comte de Provence, — le chancelier Maupeou, et puis les Rohan, famille de courtisans ambitieux, tels que le maréchal de Soubise, frère de Mme de Marsan, et le coadjuteur de Strasbourg, qui sera plus tard le trop célèbre cardinal. Ces deux factions diverses, mais coalisées par momens, celle du duc d’Aiguillon avec la Du Barry, et celle des dévots, auxquels se rattachent les Rohan d’une part et Mesdames de l’autre, sont ou deviennent ennemies de Marie-Antoinette. Pour ces gens-là, elle est la créature de Choiseul, elle est l’Autrichienne. Il ne faut pas chercher d’ailleurs à expliquer entièrement ces divisions par des partis politiques; tout se réduit le plus souvent, dans ce monde étroit, à des questions de personnes, à de petites et cupides ambitions, à des amitiés et des haines privées, à des mots d’ordre de coteries, à des intrigues devenues traditionnelles dans les familles. Marie-Antoinette elle-même ne va pas, en cela, différer beaucoup de ses adversaires. Ses premières impressions exerceront une grande influence sur sa conduite ultérieure, et on la verra céder bien plus à des affections ou à des répugnances toutes personnelles qu’à des motifs en quelque mesure politiques. Elle déteste dès maintenant