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tisme; ils aiment beaucoup mieux avoir affaire à un modéré tel que Vergennes. Les accusations de Soulavie et des pamphlets révolutionnaires, les soupçons d’une conspiration autrichienne ayant pour but et pour résultat inévitable, si elle réussissait, de livrer la France à la cour de Vienne, ne se justifient donc pas plus dans l’affaire de la succession de Bavière que dans celle du démembrement de la Pologne.


III.

Le danger n’était pas seulement que la reine servît d’interprète et d’appui à des influences venues du dehors et qui fussent de nature à engager la politique étrangère de la France : son caractère pouvait aussi donner lieu à de regrettables ingérences de cour dans les plus graves questions du gouvernement intérieur. C’est ce qui eut lieu lors du fâcheux épisode du renvoi de Malesherbes et de Turgot.

A peine devenue reine, Marie-Antoinette avait été plus que jamais assaillie de conseils diversement intéressés, la pressant de prendre sur l’esprit du roi, pour la conduite des affaires, une influence constante et décisive. Mercy lui répétait que Louis XVI était faible, qu’il serait évidemment conduit par quelqu’un de son entourage, et qu’il valait mieux, même au point de vue de l’intérêt général, que ce fût par elle. Si l’absence d’héritier devait se prolonger quelques années encore, ajoutait-il, l’entrée du comte de Provence au conseil serait inévitable, et il y deviendrait une manière de premier ministre ; il fallait que la reine se prémunit contre cette éventualité en se ménageant dans le ministère deux ou trois membres à son entière dévotion. D’autres avis l’assiégeaient encore. Quelques-uns lui disaient qu’elle n’avait à l’égard du roi que deux partis à prendre : le gagner par les voies de douceur ou le subjuguer par la crainte, et l’on croyait remarquer qu’elle inclinait de préférence vers le second parti, sans nul doute fort dangereux.

En tout cas, ce ne pouvait être malheureusement qu’avec le cortège de ses amitiés et de ses répugnances que Marie-Antoinette prendrait en main quelque pouvoir. Il faut se rappeler ici ce que nous avons dit des cabales qui se partageaient la cour. On ne doit pas en accuser directement Louis XVI et Marie-Antoinette. Sans doute, avec une volonté plus intelligente et plus ferme, ils eussent dominé et réduit à néant ces funestes intrigues; mais c’était là un legs fatal du règne de Louis XV. Alors que tout dépendait à la cour, dans le ministère, des caprices d’une maîtresse en titre, alors que la Pompadour et ensuite la Du Barry, pour ne pas remonter plus haut, décidaient du choix et du maintien des ministres, alors que