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d’un certain secrétaire de la légation à Londres dont le comte de Guines voulait se débarrasser, la reine fit venir le ministre et lui déclara qu’elle exigeait le changement ou le rappel de cet agent. Vergennes, qui n’y pouvait consentir, ne trouva d’autre recours qu’à supplier Mercy de faire entendre raison, s’il pouvait, à la jeune souveraine.

Il y avait double difficulté quand il s’agissait de quelque ami déclaré de Choiseul. Guines n’avait pas gagné entièrement son procès devant l’opinion publique ou tout au moins aux yeux du ministère; on le trouvait trop compromis, et il fut rappelé de son ambassade à Londres au commencement de 1776. C’était vouloir recommencer la lutte : Marie-Antoinette l’accepta et s’arma de dissimulation. On ne put juger de son zèle que par les coups qu’elle porta, et l’histoire a ignoré, croyons-nous, jusqu’à ce jour combien fut grande son influence dans les sourdes menées qui allaient démembrer ce ministère où figuraient un Turgot et un Malesherbes. Il faut lire dans la correspondance de Mme Du Deffand le chagrin que ressentent ses amis et elle-même du rappel de Guines, qu’ils regardent comme absolument perdu, leur surprise et leur joie quand subitement il triomphe. Mme Du Deffand ignore quelle main cachée dirige les ressorts; cette main est celle de la reine. Quand le ministère, qui se souvient de la faveur qu’elle témoignait au comte de Guines, veut justifier auprès d’elle le rappel de cet ambassadeur, et charge Malesherbes de cette mission, c’est le signal de la chute de Malesherbes. Non soutenu par Maurepas, qui prétend éviter pour lui-même les disgrâces, il ne tient pas assez au pouvoir, dont il est digne, pour l’acheter au prix des humiliations et des dégoûts. Quand Turgot, quand Vergennes paraissent à la reine décidément engagés dans la même voie, elle frappe un double coup dont les suites ont été très graves.

Au moment où les amis du comte de Guines le croient abandonné et, comme dit Mme Du Deffand, « complètement malheureux, » il leur envoie copie de la lettre suivante, qu’il vient de recevoir du roi :


« Versailles, 10 mai 1776. — Lorsque je vous ai fait dire, monsieur, que le temps que j’avais réglé pour votre ambassade était fini, je vous ai fait marquer en même temps que je me réservais de vous accorder les grâces dont vous étiez susceptible. Je rends justice à votre conduite, et je vous accorde les honneurs du Louvre avec la permission de porter le titre de duc. Je ne doute pas, monsieur, que ces grâces ne servent à redoubler, s’il est possible, le zèle que je vous connais pour mon service. Vous pouvez montrer cette lettre. »


Ce billet royal, marque d’un triomphe éclatant pour celui à qui il