Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est adressé, c’est Marie-Antoinette qui l’a dicté à Louis XVI. Après avoir obtenu du roi, malgré une assez longue résistance, qu’il écrivît lui-même au comte de Guines, elle a en sa présence déchiré la lettre, qu’elle ne trouvait pas assez flatteuse, et elle l’a fait refaire jusqu’à trois fois. Un autre diplomate, également fort attentif aux mouvemens de la cour et particulièrement de la reine, le comte de Creutz, ministre de Gustave III à Paris, donne ici le même témoignage. « La grâce que le roi vient de faire à M. de Guines en le nommant duc est, écrit-il, l’ouvrage de la reine. Cette princesse s’est conduite dans cette affaire avec un secret et une habileté au-dessus de son âge. Elle n’a pas dit un mot en public à M. de Guines pendant tout ce temps; on croyait qu’elle l’avait abandonné, et tout d’un coup on vient de voir l’effet le plus éclatant de son crédit; on ne doute plus du pouvoir qu’elle a sur le roi. » Malheureusement ce n’était pas tout; Marie-Antoinette avait en même temps, cela est certain, exigé le renvoi de Turgot. Elle y avait mis du raffinement : elle aurait voulu, — nous laissons la parole à Mercy informant l’impératrice, — « que le sieur Turgot fût chassé et de plus envoyé à la Bastille le même jour que le comte de Guines serait déclaré duc. Il a fallu, continue Mercy, les représentations les plus fortes et les plus instantes pour arrêter les effets de sa colère, qui n’a d’autre motif que les démarches faites par Turgot pour le rappel du comte de Guines. Sa majesté veut également faire renvoyer le comte de Vergennes, aussi pour cause du comte de Guines, et je ne sais pas encore jusqu’où il sera possible de détourner la reine de cette volonté. » Instruit de la haine (c’est l’expression de Mercy) que Marie-Antoinette lui portait, Turgot ne songeait pas à lutter; il était fort décidé à se retirer comme Malesherbes. Une seule chose le retenait, le désir d’achever le plan financier qu’il voulait présenter au roi. On ne lui en laissa pas le temps. Maurepas, le voyant poursuivi par la reine, n’avait garde de se compromettre en le soutenant : il prit occasion, pour rompre tout à fait avec lui, du vœu exprimé par Turgot pour qu’on donnât l’abbé de Véry comme successeur à Malesherbes; de concert avec Marie-Antoinette, qui se piquait de reconstruire aussi le ministère, il proposa contre Véry un autre candidat, Amelot, qui fut nommé. Turgot reçut définitivement son congé le 12 mai 1776. Le roi lui-même, qui, en d’autres temps, avait reconnu son mérite, ne témoignait plus que d’avoir à charge ses nouvelles propositions d’utiles édits.

Cette participation funeste de la reine à la disgrâce de Malesherbes et de Turgot n’était pas connue; elle est désormais incontestable. Nous ne pouvons récuser sur ce point le témoignage de Mercy, qui eût mieux aimé, dans son zèle, avoir de tout autres informations à mander. Il y insiste de manière à exclure tout soupçon d’erreur;