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rire exprime-t-il la gaîté et le soupir la tristesse? C’est ce qu’on ne saurait dire[1].

En résumé, perturbation profonde des actes circulatoires et respiratoires, agitation plus ou moins énergique des membres, attitudes changeantes de la posture du corps, mouvemens diversifiés de la physionomie, inflexions et modulations infiniment variées de la voix, tous ces phénomènes plus ou moins enchaînés sont la conséquence de ce qui se passe dans le cerveau quand il reçoit les impressions capables de l’émouvoir.

On voit par là que le ressort primitif de la passion, c’est l’impression sensitive. Qu’est-ce maintenant que cette impression? Pour le savoir, analysons un état passionnel quelconque; nous y discernerons quatre élémens fondamentaux : une sensation initiale plus ou moins distincte de plaisir ou de douleur, des mouvemens volontaires ou involontaires plus ou moins prononcés, enfin une sensation récurrente consécutive à ces mouvemens. Il est clair que, si la sensation n’existait pas, la passion n’existerait pas non plus. D’autre part, si cette sensation n’était qu’un mouvement, on pourrait dire que la passion se compose d’une suite de mouvemens ayant pour origine l’ébranlement des sens produit par les causes externes ou internes d’émotion; mais dans ce cas on ne comprendrait pas pourquoi cet ébranlement, de nature purement vibratoire, nous affecte d’une manière tantôt agréable, tantôt douloureuse, et se continue selon des modes si variés. Le pouvoir de discerner immédiatement, dans la perception sensoriale, des différences qui n’ont pas d’équivalent mécanique ne peut donc pas être expliqué par des raisons mécaniques, et il faut de toute nécessité reconnaître ici une capacité psychique chargée d’induire et de concevoir les causes d’émotion, et de régler avec une certaine harmonie les mouvemens physiologiques consécutifs. Toute la passion est donc dans un quelque chose qui n’est ni le cerveau, ni les nerfs, ni les muscles, dans un quelque chose qui conçoit, qui jouit, qui souffre et qui meut tout le corps à l’unisson de ses propres sentimens. Or cette capacité consciente, perceptive de causes qui n’ont rien de mécanique, c’est l’âme. Plus on approfondit la physiologie des passions, plus on acquiert la conviction que le frémissement des énergies nerveuses et motrices n’est ici que la manifestation extérieure des causes plus profondes qu’on appelle psychiques. De même, plus on étudie la matière, plus on reconnaît qu’elle n’est que le dehors et le vêtement de l’activité d’un principe invisible. C’est ainsi que la science nous ramène tou-

  1. Voyez l’étude de M. Charles Lévèque sur le rire dans la Revue du 1er décembre 1863.