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tendresse. Quelle impression dut faire sur les assistans cet homme qui, enterré depuis si longtemps, avait gardé toutes les apparences de la jeunesse à côté de cette femme courbée sous le poids des ans, et dont l’amour avait conservé la vivacité du premier jour! — L’imagination perd toute mesure et toute justesse. La volonté n’est plus maîtresse des actes de la vie. « C’est ici, s’écrie Roméo près du cadavre de Juliette, c’est ici que je veux fixer ma demeure avec les vers qui sont maintenant ta compagnie... O mon amante, ô mon épouse, la mort qui a sucé l’ambroisie de ton haleine n’a pas eu de pouvoir sur ta beauté : elle éclate encore sur tes lèvres vermeilles, sur tes joues de rose et dans tous tes traits. La mort ne t’a pas conquise tout entière! » — « Je suis entraînée vers vous, écrit Mlle de Lespinasse à M. de Guibert, par un attrait, par un sentiment que j’abhorre, mais qui a le pouvoir de la malédiction et de la fatalité. » Le poète anglais Keats se mourant de phthisie écrit à un ami : « Je suis dans un état où une femme en tant que femme n’a pas plus de pouvoir sur moi qu’un arbre ou une pierre, et cependant l’idée de quitter X.... dépasse tout ce qu’il y a d’horrible. J’aperçois constamment sa figure, qui constamment s’évanouit. » Ce dernier fait rentre dans l’histoire des hallucinations, laquelle touche à l’histoire des extases, si fréquentes dans la vie religieuse, tant il est vrai que l’amour, même mystique et divin, quand il n’est pas contenu dans les limites de la raison, se tourne à une sorte de monomanie dangereuse, ainsi qu’on le verra plus loin, pour l’intégrité des fonctions.

La pensée trace le dessin de la vie; la passion y ajoute le coloris. Quand cette passion est heureuse, le coloris est brillant et gai, l’existence a le charme d’un printemps lumineux. Plus souvent la passion est douloureuse, et alors la couleur qu’elle donne à la vie est sombre. La mélancolie est une de ces passions qui assombrissent les jours de l’homme. Il y a une forme de mélancolie qui est manifestement une variété de démence, et que les aliénistes rencontrent fréquemment. Elle est caractérisée par une incurable tristesse, un besoin impérieux de solitude, une inaction absolue et la croyance à une foule de maux imaginaires dont le malade est sans cesse obsédé. « Mon corps est un foyer ardent, écrivait un mélancolique à son médecin, mes nerfs sont des charbons embrasés, mon sang est de l’huile bouillante. Tout sommeil est anéanti. Je souffre le martyre. » — « Je suis privé d’intelligence, de sensibilité, écrivait un autre; je ne sens rien, je ne vois ni n’entends, je n’ai aucune idée, je n’éprouve ni peine ni plaisir, toute action, toute sensation m’est indifférente; je suis un automate incapable de conception, de sentimens, de souvenirs, de volonté, de mouvemens. » Cette forme