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du soleil parmi des ruines, dans une attitude gracieuse, quoique mélancolique, tandis que son mari passait en fastueux équipage, avec une femme à cheveux rouges. Prenant pour siège la malle qu’elle venait de remplir, elle composa quelques strophes d’une élégie qui décrivait ses souffrances, sa pauvreté, et la montrait enfin mourant de consomption, encore assez belle pour fasciner les yeux du rédacteur de l’Avalanche et du colonel Starbottle. A propos, où était Starbottle tout ce temps-là? Pourquoi ne revenait-il pas? Lui du moins la comprenait, lui... — Elle se remit à rire de son rire hardi et léger; mais l’instant d’après son visage devint grave comme il ne l’était pas auparavant.

Et que faisait d’autre part ce petit diable rouge? Pourquoi était-il si tranquille? Elle ouvrit doucement la porte, écouta, et il lui sembla entendre parmi les mille petits bruits inexplicables, craquemens et bourdonnemens d’une maison déserte, certaine petite voix qui chantait à l’étage supérieur. Il n’y avait là, elle s’en souvenait, qu’un grenier qui servait de réserve. Presque honteuse d’elle-même, Mme Tretherick monta doucement l’escalier, entr’ ouvrit la porte et regarda dans le grenier. La longue pièce mansardée était traversée par un rayon de soleil qui, rempli d’atomes grouillans, perçait l’étroite lucarne et n’illuminait qu’à demi ce galetas vide et désolé. Dans ce rayon, elle vit la bizarre chevelure de l’enfant étinceler pareille à une auréole, tandis qu’assise sur le plancher, sa poupée entre les genoux, elle parlait à cette dernière avec de grands gestes. Mme Tretherick ne tarda pas à s’apercevoir qu’elle répétait l’entrevue qui venait d’avoir lieu. L’enfant grondait la poupée, l’interrogeant comme une coupable sur la durée de son séjour dans la maison et sur la mesure du temps en général. Cette imitation s’étendit avec une merveilleuse exactitude à tout l’entretien, qui fut littéralement le même, sauf une variante : lorsqu’elle eut déclaré à la poupée qu’elle n’était pas sa mère, elle ajouta d’un ton plus doux, pour terminer, que, si la poupée était sage, très sage, elle pourrait cependant devenir sa maman et l’aimer beaucoup.

Mme Tretherick se sentait fort mal à l’aise durant toute cette scène, et la conclusion lui fit monter le sang aux joues. Le demi-jour lugubre de ce grenier, l’aspect presque humain qui prêtait je ne sais quoi de pathétique au mutisme de la poupée géante, la petite taille, l’évidente faiblesse du seul être animé qui formait le centre du tableau, toutes ces choses remuèrent plus ou moins vivement la sensibilité de la femme et du poète. Elle ne put s’empêcher d’utiliser son émotion en se disant qu’il y aurait là matière à de beaux vers, si le réduit était seulement un peu plus sombre et l’enfant assis auprès du cercueil de sa mère, tandis que le vent soufflerait lu-