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semblait qu’il eût voulu à son tour s’arrêter sur la pente, tant il lui semblait grave de contribuer à ébranler ce colosse ottoman, que nul n’osait encore sans effroi voir chanceler sur sa base ! Mais c’est à Londres qu’il eût fallu réfléchir ; devant Navarin, il était trop tard pour reculer.

Le traité du 6 juillet avait été notifié au gouvernement grec le 2 septembre, par un délégué de la légation russe, M. Timoni, par le Commodore Hamilton et par le capitaine Hugon. La partie la plus faible devait nécessairement accepter avec reconnaissance la suspension d’armes qui lui était signifiée ; il fallait une sommation plus impérieuse pour amener l’autre belligérant à y souscrire. Le 21 septembre 1827, trente-deux bâtimens de la flotte d’Ibrahim, — trois vaisseaux, sept frégates, le reste, bricks et corvettes, — quittaient le port de Navarin chargés de troupes, et s’établissaient en croisière entre l’île de Sphaktérie et la baie de Modon. Le calme avait jeté les vaisseaux anglais dans l’ouest. Arrivant de Paros, la Sirène parut à r improviste ; le lendemain, les deux commandans alliés se rejoignirent.

L’amiral de Rigny se rendit sur-le-champ à bord de l’Asia. L’accord se fit promptement. Il fut convenu que l’amiral français se rendrait seul auprès d’Ibrahim et lui porterait la sommation commune, pendant que l’escadre anglaise contiendrait la division ottomane et l’empêcherait de poursuivre sa route sur Hydra. Le 22 septembre, à huit heures du matin, l’amiral de Rigny se trouvait en présence du conquérant du Péloponèse. Cet athlète, ramassé sur lui-même, dont la force musculaire était telle qu’il pouvait, assure-t-on, abattre d’un seul coup la tête d’un taureau, était d’une stature médiocre. Il portait le costume que les chefs égyptiens avaient adopté les premiers, et qui devait devenir bientôt en Turquie le symbole de la réforme : le fez rouge et la veste brodée serrant la taille. Une barbe longue et roussâtre, une figure fortement marquée de la petite vérole, un embonpoint précoce, composaient un ensemble peu fait pour captiver l’attention. Deux yeux vifs et perçans n’en marquaient pas moins cette physionomie turque du sceau de l’intelligence, sinon de celui du génie. Le commandant de la flotte de Constantinople, Tahir-Pacha, n’avait pas jugé sa participation inutile dans la conférence qui allait s’ouvrir. Il était auprès d’Ibrahim quand l’amiral français, avec son interprète, se présenta sous la tente du pacha. Ibrahim l’invita d’un geste à se retirer ; il fallut renouveler cette injonction silencieuse. La méfiance de Tahir-Pacha, nous dit l’amiral, était évidente, et ce serviteur de la Porte, que Méhémet-Ali appelait cependant un des siens, ne s’éloigna pas sans laisser percer son mécontentement. Le tête--