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Scipion à bord duquel toute trace d’avarie avait disparu en moins de huit jours. Ce fut au maître d’équipage de la Sirène, Simon Matuvel, qu’il fallut confier la direction de ces travaux de mâtage et de démâtage, si délicats dans une rade ouverte où régnait constamment une assez forte houle, « car, je dois le dire avec regret, monseigneur, écrivait l’amiral au ministre, sur les quatre vaisseaux il ne s’est pas trouvé un maître suffisamment expérimenté pour conduire avec sûreté une semblable opération. Aussi ai-je voulu en faire une école ; j’ai ordonné que tous les élèves, ainsi que tous les maîtres, y assistassent. »

Il est certains esprits qui se raidissent contre la mauvaise fortune et qui savent puiser leurs résolutions les plus énergiques dans l’excitation même des difficultés que le sort leur suscite. L’amiral de Rigny était un de ces esprits rares. Les hésitations dont il n’avait fait mystère ni au ministre ni à l’ambassadeur s’évanouirent comme par enchantement le jour où il reconnut que « les vaisseaux de sa majesté, armés à la hâte, la plupart avec de vieilles voiles et de vieux gréemens, tous avec des équipages neufs, ne pourraient dans un blocus d’hiver apporter la ténacité dont feraient aisément preuve les vaisseaux anglais, armés depuis deux ans et montés par des équipages dont l’incontestable supériorité lui était chaque jour démontrée. » À dater de ce moment, il ne songea plus qu’à venir prendre position dans le port même de Navarin, à y contenir efficacement les Turcs par la présence des escadres alliées et à en finir, s’il le fallait, par un coup de foudre, a Ibrahim, mandait-il au ministre le 8 octobre, a saisi, pour violer la parole qu’il nous avait donnée de ne pas quitter Navarin avant d’avoir reçu des ordres de Constantinople, l’occasion d’une attaque sans succès faite par Cochrane sur le fort de Vasiladi. Tout l’espoir qu’on avait pu concevoir de l’ambiguïté des paroles de Méhémet-Ali a disparu. Il ne faut plus se flatter de pouvoir séparer la flotte du pacha de celle de Constantinople, de maintenir les Égyptiens dans une neutralité forcée en apparence. Méhémet-Ali veut, comme son maître, courir les chances de la guerre. Les gouvernemens ont sans doute prévu ce qui peut arriver à ceux de leurs sujets établis dans les échelles du Levant. J’espère être en état de me trouver avec trois vaisseaux et trois frégates au rendez-vous que nous nous sommes donné, l’amiral anglais et moi, pour le 15 octobre devant Navarin. Il doit évidemment résulter de notre première rencontre avec la flotte turque une attaque décidée. »

Le 13 octobre au matin, les trois commandans d’escadres se trouvèrent fortuitement réunis près de Zante. L’amiral russe, qui avait été rencontré le 22 septembre par un croiseur anglais sur les côtes de Sardaigne, arrivait de l’ouest, l’amiral de Rigny venait de Cervi.