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s’est même pas signalé par une de ces interventions qui marquent la place d’un homme dans les affaires publiques. Il n’a rien fait, il n’a paru sérieusement dans aucune circonstance ; il n’est à l’assemblée qu’un député de plus revêtu du vernis aristocratique, et dont l’éloquence va tout au plus jusqu’à l’interruption. Ce n’est donc ni pour ses services en diplomatie, ni pour l’éclat de son talent ou de sa carrière publique, que M. le duc de Bisaccia a pu être choisi pour aller représenter la France à Londres ; mais il est de l’extrême droite, de cette droite inquiète et frondeuse qui ne peut se consoler de l’échec des tentatives monarchiques, qui n’a voté la prorogation septennale qu’à contre-cœur, sans renoncer à l’espoir de retrouver et de préparer une occasion plus favorable, qui, n’ayant pu faire la monarchie, ne veut à aucun prix faire ou laisser faire la république, La nomination de M. le duc de Bisaccia est-elle le gage des ménagemens du ministère pour cet esprit des légitimistes de l’assemblée ? Est-ce le prix du concours de l’extrême droite ? Le ministère a cru sans doute fort habile de s’en tirer à si peu de frais.

C’est mieux que cela, dit-on, c’est un gage donné à l’union de toutes les fractions conservatrices alliées jusqu’ici dans un sentiment de défense sociale ; la première condition est de maintenir devant la révolution menaçante l’intégrité du parti conservateur dans l’assemblée. C’est possible. Que le gouvernement doive être conservateur, qui donc le met en doute ? Seulement il y a une manière d’entendre ce mot de conservateur qui peut conduire aux plus étranges déceptions, à une pure et simple réaction dans le sens le plus étroit. Depuis quelque temps, on semble en vérité vouloir faire de la politique conservatrice une sorte d’orthodoxie exclusive et passionnée dont les seuls gardiens jurés seraient dans certaines régions. C’est ce qu’on a nommé la politique de combat. Hors de là, il n’y a plus que des révolutionnaires et des démagogues. Il y a longtemps que M. Thiers n’est plus qu’un radical de la pire espèce, et M. de Rémusat, élu il y a quelques mois à Toulouse, ne l’est pas moins, et le centre gauche tout entier, à commencer par M. Casimir Perier, est absolument infesté de radicalisme. De proche en proche, tout le monde est exclu. Lorsque, il y a quelques jours, on a refait le ministère, M. de Goulard, à ce qu’il paraît, a été exclu parce qu’il n’était pas assez pur, parce qu’il était suspect à certaines fractions qu’il fallait ménager, et peu s’en est fallu que M. de Larcy et M. Depeyre eux-mêmes ne fussent mis à l’index parce qu’ils sont entrés dans un cabinet un peu mélangé. On est radical et démagogue dès qu’on se permet de croire qu’il pourrait y avoir de la sagesse à tenir quelque compte de toutes les manifestations du pays, dès qu’on prononce le mot de république même sous le gouvernement du président de la république. L’idéal est de supprimer jusqu’au mot, de faire la monarchie quand même, sans roi, en attendant que le roi vienne.