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ce cruel procès de nos misères s’est déroulé sous une direction aussi ferme, aussi habile que mesurée. Ils ont tous comparu devant la justice attentive, maréchaux, généraux, officiers, simples émissaires, combattans des journées de Rezonville et de Saint-Privat, membres du gouvernement de la défense nationale ou acteurs obscurs perdus dans la mêlée. On a fait appel à tous les témoignages, même à ceux qui ne laissaient pas d’être inutiles et peut-être équivoques. On a scruté tous les souvenirs, les coïncidences, les dépêches, les mystères du télégraphe. On a écouté enfin ces réquisitoires et ces plaidoiries qui ont ravivé l’amertume de la désastreuse odyssée.

Assurément la vérité n’est pas toujours facile à saisir dans ce conflit de dépositions, de souvenirs évoqués après trois ans, et ce n’est point sans doute encore l’histoire définitive des affaires de Metz, ou du moins c’est une histoire à dégager de bien des obscurités. Il y avait toutefois un fait palpable, inexorable, devant lequel on ne pouvait pas même reculer, Bazaine, chef d’une armée en campagne, avait-il capitulé dans des conditions que les lois militaires n’admettent pas ? avait-il rendu les armes, les drapeaux de plus de 100,000 braves gens étonnés de leur malheur ? C’était bien certain, trop tristement certain. — Le commandant de l’armée du Rhin avait-il fait tout ce que lui imposaient le devoir et l’honneur avant de se laisser réduire à cette extrémité, avant de rendre d’un seul coup la force la plus sérieuse de la France et la citadelle de la Lorraine ? s’est-il suffisamment défendu de ces pièges terribles, les préoccupations politiques, les négociations prématurées et énervantes, les communications irrégulières avec l’ennemi ? s’était-il assez souvenu qu’en dehors des révolutions et des questions de gouvernement, en dehors de ces événemens extérieurs qu’il connaissait mal, il restait toujours la France, selon le mot de M, le duc d’Aumale ? Le conseil de guerre ne l’a point cru évidemment, la sentence le dit. Le maréchal n’avait point fait tout ce qu’il pouvait. À parler franchement, ce n’est que par ce qu’il avait d’unique, d’extraordinaire, dans des circonstances bien extraordinaires elles-mêmes, que l’acte de Metz pouvait trouver, sinon une justification suffisante, du moins une explication, une atténuation, et c’est parce qu’il l’a compris ainsi que le conseil, en restant dans l’inflexibilité des lois militaires, en condamnant le maréchal sur tous les points « à l’unanimité, » a signé immédiatement, aussi « à l’unanimité, » un recours en grâce. Ce n’était pas une contradiction, comme on l’a dit, le recours en grâce n’était point le désaveu de l’arrêt, c’était un moyen de concilier autant que possible un devoir strict et un sentiment supérieur d’équité ou d’humanité. Le tribunal a laissé la loi militaire s’appesantir dans sa rigueur sur l’auteur de la capitulation de Metz, les juges ont voulu eux-mêmes re-