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viennent chaque jour plus intolérables. Comme l’oiseau qui sort de l’œuf en brisant sa coquille, les sociétés brisent aussi les entraves qui s’opposent à leur développement.

L’union de notre marché national avec le marché général de l’Occident a produit des effets encore bien plus salutaires dans la douloureuse période que nous avons traversée depuis 1870. Jamais l’intervention du commerce n’avait été plus nécessaire, jamais ses bienfaits n’ont été plus apparens. De nos quatre dernières récoltes, l’une (1870) a été médiocre, la seconde très mauvaise, la troisième exceptionnellement abondante, et enfin la dernière nous laissera certainement, selon toutes les prévisions, un déficit considérable. Ces soubresauts dans la production de notre principale denrée alimentaire ont coïncidé avec des désastres dont l’histoire d’aucun autre peuple n’offre l’exemple : guerre déplorable avec la Prusse, occupation de notre territoire par l’ennemi, guerre civile, incendies de la commune, rançon de 5 milliards, difficultés politiques inextricables. Il faut bien reconnaître que l’épreuve aura été décisive, et que, si le commerce n’a pas failli à sa tâche d’assurer notre approvisionnement au milieu de ces calamités, c’est que nous sommes désormais à l’abri de toute crise aiguë en matière de subsistances. Il suffit de rappeler de quelle manière les faits se sont passés.

Quand la funeste déclaration de guerre à la Prusse vint nous surprendre en juillet 1870, le prix du blé était à 23 francs l’hectolitre. La médiocrité de la récolte sur pied pesait évidemment sur les cours, puisque le prix n’avait été que de 20 francs au mois de mai précédent. On prévoyait un déficit, et le commerce, en faisant ses achats d’avance, faisait monter le prix, ce qui accélérait l’importation à Marseille et modérait l’exportation sur le littoral. Malgré le désarroi général, le commerce pourvut à tout, non-seulement au déficit de la récolte, mais encore aux gaspillages de la défense nationale et aux réquisitions de l’ennemi. Les prix suivirent une marche régulière, sans saccades, et n’atteignirent 28 francs qu’en mai 1871, en pleine insurrection de la commune, et alors qu’il était déjà évident que la récolte sur pied, détruite en partie par les gelées sans neige de l’hiver précédent, serait fort mauvaise. Les prévisions sur ce point furent justifiées, et la récolte de 1871 nous laissa un déficit énorme. Fort heureusement les marchés d’exportation qui alimentent l’Occident étaient pourvus, notamment la Hongrie et l’Amérique, et l’Angleterre, ce grand importateur dont les prix règlent les nôtres, n’avait qu’à faire face à son déficit normal. La denrée n’était donc pas absolument rare sur le marché général, et les prix n’avaient rien d’excessif. On vit alors, sous l’influence des opérations du commerce, se renouveler le phénomène si curieux de l’abaissement régulier du prix en temps de disette, qui s’était déjà