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de forces qu’en altérant plus ou moins sa santé ; mais la nécessité le condamne à réserver ce pain blanc qu’il produit aux consommateurs plus fortunés qui habitent la ville, et il s’y résout.

Un prix moyen de 28 francs l’hectolitre, avec des écarts de 2 fr. au-dessus dans le nord-est et de 2 francs au-dessous en Provence, il n’y avait là rien qui dût nous alarmer à la fin du mois d’août dernier. Pour ne rappeler ici que des faits de date récente, ces prix avaient été notablement dépassés en 1853, en 1855, en 1856 et en 1858. Cependant l’on s’est ému et l’on a fait appel à l’intervention du gouvernement pour combattre la cherté non-seulement par les moyens dont il dispose, mais encore en lui suggérant les projets les plus chimériques, les mesures les plus insensées. C’est là malheureusement chez nous une tradition déjà ancienne. On nous a reproché, à juste titre, d’ignorer la géographie ; on aurait pu, avec bien plus de raison, nous faire le reproche d’ignorer les plus simples élémens de l’économie politique. L’intervention du gouvernement, toutes les fois qu’elle n’a pas eu pour unique but d’assurer la liberté et la sécurité du commerce, a toujours été détestable ; loin de remédier aux crises, elle n’a fait que les précipiter et les rendre plus funestes. Notre histoire est pleine de ces exemples. Sur la simple annonce faite par Necker que le gouvernement avait opéré des achats à l’étranger pour combler un déficit qui n’existait pas en réalité, une famine véritable se déclara. Aux portes mêmes de Paris, dans un pays riche en céréales, à Coulommiers et à Nangis, le prix du blé monta de 5 à 6 francs par hectolitre dans l’intervalle de deux marchés. Les décrets de la convention sur le maximum, sur la création des greniers de réserve, etc., ne produisaient pas de meilleurs résultats. Le blé se cachait dans les campagnes, et la population parisienne avait beau pendre les boulangers aux lanternes après avoir défoncé et pillé leurs boutiques, cela ne faisait ni affluer le blé à Paris, ni baisser le prix du pain. Plus tard, en 1811, les recensemens et les réquisitions ordonnés par un comité de subsistances affamèrent la France entière. En 1817, les importations opérées pour le compte de l’état ne firent qu’exagérer la crise en semant la panique dans la population et en décourageant le commerce.

Les gouvernemens modernes ne font plus de réquisitions, d’importations et de greniers de réserve ; mais, s’ils vont moins loin que leurs prédécesseurs, et si leurs mesures sont ainsi moins désastreuses, leur conduite en matière de subsistances n’est pas sensiblement plus correcte et plus logique : ils n’obéissent d’ordinaire qu’aux circonstances du moment, modifiant çà et là les pièces de notre régime commercial, sans se désintéresser absolument en cette matière. Quand la cherté arrive, à la suite du déficit, ils s’empressent de jeter à l’eau tout ce qui reste de l’ancienne réglementation