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origines de l’affaire. Il vient d’apprendre en effet, non pas de Berlin cette fois, mais de Londres même, qu’un agent secret, se disant envoyé par le ministre de la police de Prusse, était arrivé récemment à Londres pour surveiller les faits et gestes de l’ambassadeur. Le ministre de la police avait arrêté dans sa haute sagesse que M. de Bunsen devait nécessairement avoir des relations personnelles avec les réfugiés établis à Londres. C’est à cet agent qu’un réfugié prussien, trouvant là une occasion de gagner quelques shillings, avait révélé le secret d’état dont il s’agit. M. de Bunsen remarquait à ce propos que l’agent de la police prussienne avait été indignement volé, car enfin, si pareil scandale se fût passé dans une ville comme Londres, est-ce qu’on aurait pu en étouffer le bruit ? Le soir, tous les journaux de la Cité auraient donné la nouvelle à leurs lecteurs, et le lendemain elle eût fait le tour de l’Europe.

Il résultait de cette misérable aventure que M. de Bunsen, s’il restait à Londres, s’exposerait infailliblement, non pas aux grossièretés des réfugiés d’Allemagne, mais à l’injure perpétuelle du ministère dont il était le représentant. Il se savait suspect et surveillé ; son nom était à la merci des plus vils dénonciateurs. Il prit donc la résolution de se retirer des affaires. D’abord, voulant ne pas brusquer les choses, — car il était toujours dévoué à la personne de Frédéric-Guillaume IV, et il y avait là plus que des convenances à ménager, — il chargea M. de Radowitz de préparer le roi à cette demande de retraite. Pendant l’été de 1851, il fit un voyage à Bonn, examinant, dit-il, le port où il se proposait de chercher un refuge ; mais l’homme propose et Dieu dispose. Peu de temps avant la date qu’il s’était fixée à lui-même pour offrir décidément sa démission au roi, il est atteint d’une maladie grave. Comment songer à sa retraite dans un pareil moment ? Cependant le temps passe ; voilà des semaines, voilà des mois qui s’écoulent, les événemens changent d’aspect, les opportunités ne sont plus les mêmes. Ce qu’il eût été si naturel de faire dans les deux ou trois mois qui ont suivi la convention d’Olmütz, pourquoi le faire un an plus tard ? Cette démarche aura perdu sa vraie signification. Ce ne sera plus qu’une brèche ouverte dans ces hautes fonctions diplomatiques d’où les absolutistes veulent expulser M. de Bunsen et ses amis. Cette pensée le retient. Sa retraite ferait trop de plaisir aux hommes qu’il considère comme les plus grands ennemis de l’Allemagne. Le prince de Schwarzenberg s’en réjouirait à Vienne ; à Berlin, M. Stahl et M. de Gerlach en pousseraient des cris de triomphe. Non, il restera. Sa conscience a tort de s’alarmer. Ce n’est pas du ministère qu’il est l’organe en conservant son poste, il est le représentant du roi Frédéric-Guillaume IV et le serviteur de la patrie.

Voilà comment M. de Bunsen se décida en 1851 à garder ses fonc-