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nifestait de sympathie pour les chefs de l’assemblée nationale de France. Il est vrai que M. de Bunsen est notre ennemi, et que le souvenir des récentes humiliations de la Prusse, bien que la France y soit étrangère, ravive encore ses défiances haineuses. On peut être persuadé qu’il est dupe de ses propres passions quand il attribue aux hommes d’état anglais des sentimens de mépris pour nos plus grands citoyens, défenseurs malheureux de la liberté parlementaire[1]. Il faut du moins conclure de ces renseignemens qu’une fois les premières alarmes calmées, les membres du cabinet de Saint-James n’eurent pas trop de peine à se décider pour une politique d’expectative où l’on ne sentait rien de menaçant.

C’est ici que se place l’épisode du renvoi de lord Palmerston, épisode très singulier en lui-même et qui tient une grande place dans cette histoire. On a dit que lord Palmerston, ministre des affaires étrangères dans le cabinet que dirigeait lord John Russell, avait été obligé de donner sa démission le 22 décembre 1851 à cause de l’empressement qu’il avait mis à faire des déclarations trop favorables au représentant de la France à Londres, M. le comte Walewski. Le fait n’est pas complétement exact. L’attitude de lord Palmerston à la suite du 2 décembre n’a été que le prétexte de sa disgrâce. Conformément à la décision du ministère, approuvée par la reine Victoria, lord Palmerston avait écrit dès le 5 décembre à lord Normanby, représentant de l’Angleterre à Paris, une dépêche qui se terminait par ces mots : « j’ai ordre de sa majesté de vous dire qu’il ne faut rien changer à vos relations avec le gouvernement français. Le désir de sa majesté est que son ambassadeur à Paris ne fasse rien qui ait l’apparence de la moindre intervention dans les affaires intérieures de la France. » En recommandant à lord Normanby la plus stricte neutralité, le ministre anglais devait-il s’interdire d’exprimer son sentiment sur le 2 décembre en des conversations particulières ? Assurément cela eût été plus correct ; mais il y avait longtemps que lord Palmerston, esprit altier et impatient de la discipline, se souciait peu des règles de la hiérarchie ministérielle. Au mois d’août de cette même année 1851, la reine avait dû lui adresser un mémorandum très net pour le rappeler à l’ordre. Le ministre s’était empressé de répondre : « J’ai pris copie du mémorandum de sa majesté, et je ne manquerai pas de me conformer aux instructions qu’il contient. » Il croyait apparemment que, tout en dirigeant la politique étrangère dans le sens arrêté par le conseil et

  1. Uebrigens zeigt sich nirgends hier eine Theilnahme an den leitenden Männern der Nationalversammlung… » Voyez l’édition allemande des Mémoires de Bunsen. — Christian Cari Josias Freiherr von Bunsen, ans seinen Briefen und nach eigener Erinnerung geschildert von seiner Wittwe. Deutsche Ausgabe durch neue Mittheilungen vermehrt von Friedrich Nippold, t. III, p. 198.