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prérogative….. Bref, lord John Russell fait décider par le conseil que lord Palmerston a manqué à ses devoirs hiérarchiques, et l’invite à offrir sa démission à la reine. La démission est donnée et acceptée. Lord Granville remplace lord Palmerston.

Était-ce un désaveu de l’opinion exprimée par lord Palmerston ? pas le moins du monde. On sut peu de temps après que les autres ministres, et lord John à leur tête, avaient tenu exactement le même langage que leur collègue. À la nouvelle des événemens de Paris, M. le comte Walewski ne s’était pas borné à voir le ministre des affaires étrangères, il avait vu le même jour et l’un après l’autre tous les membres du cabinet ; l’opinion personnelle de chacun d’eux était favorable à Louis-Napoléon. Derrière ce singulier incident, comme nous l’avons déjà indiqué, il y avait ce qu’on a nommé à Londres la question du prince Albert[1]. Le cabinet whig, présidé par lord John Russell, reprochait à l’époux de la reine une certaine ingérence dans le gouvernement. L’orgueil britannique s’inquiétait de voir un prince étranger, un Cobourg, imbu, disait-on, de tous les préjugés aristocratiques des petites cours allemandes, essayer sous main de tenir en échec la politique du ministère. Cette lutte, qui devait arriver à l’état aigu en 1854, durait sourdement depuis plusieurs années, surtout depuis les commotions européennes de 1848. Lord Palmerston, avec sa hauteur d’esprit, s’y était engagé plus vivement que ses collègues. Entre les droits du ministère et les prérogatives de la couronne, la ligne précise est souvent difficile à garder. À force de veiller d’une façon si jalouse sur les empiétemens qu’il redoutait, lord Palmerston avait empiété plus d’une fois sur le domaine royal. De là ce mémorandum du mois d’août, qui rappelait le ministre en termes presque impérieux à l’observation des convenances hiérarchiques. Voilà comment le chef du cabinet whig fut amené à congédier son collègue des affaires étrangères le 22 décembre 1851. Lord John Russell ne se sépara point de lord Palmerston pour un dissentiment relatif au coup d’état, il le sacrifia purement et simplement à une question tout intérieure, à une question de rapports entre le ministère et la couronne. La crise mena-

  1. On trouve de curieux détails sur cet épisode peu connu de l’histoire d’Angleterre dans les Mémoires du baron de Stockmar, médecin de la reine Victoria. Stockmar était le compatriote et l’ami de Léopold Ier, roi des Belges, et du prince Albert, mari de la reine d’Angleterre. Il a passé la plus grande partie de sa vie à Londres et à Windsor. C’était plus qu’un médecin et un ami pour ses augustes hôtes, c’était un conseiller politique. Il a été mêlé de sa personne à la question du prince Albert. La presse radicale l’accusait d’exercer une influence funeste sur le prince et de l’entretenir dans des dispositions d’esprit bien moins anglaises que germaniques. Les mémoires du baron de Stockmar ont été publiés l’année dernière (Denkwurdigkeiten aus den Papieren des Freiherrn Christian Friedrich von Stockmar. Zusammengestellt von Ernst Freiherr von Stockmar, 1 vol. in-8o ; Brunswick 1872).