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C’est au xviiie siècle qu’elle a commencé d’être pour l’Europe une cause de préoccupations et d’inquiétudes. Dès que la Russie eut conquis sa place parmi les grandes puissances, elle comprit et l’Europe redouta le parti qu’elle pouvait tirer de la situation des chrétiens en Turquie, surtout des chrétiens de la communion grecque. Défendre leur cause auprès du sultan, obtenir pour eux des droits officiellement stipulés, essayer de se faire accorder la surveillance de ces garanties, c’était à la fois un noble rôle et une conduite profitable. Un tel dévoûment était placé à gros intérêts. Sous cette bannière libérale et chrétienne, on s’acheminait vers Constantinople. Les capitulations de 1740, le traité de Koutchouk-Kainardji en 1774, le traité d’Andrinople en 1829, l’établissement de la principauté de Serbie et du royaume de Grèce, sont les principaux épisodes de cette histoire. Chacun de ces épisodes en eflet doit être considéré comme une étape qui conduisait la politique russe rers un but nettement déterminé. En même temps que l’empire turc, pareil à un chêne ébranché, perdait quelques-uns de ses plus nobles rameaux, la cognée essayait de pénétrer au cœur de l’arbre. Cet instrument manié avec tant d’adresse, c’était le droit que les tsars s’attribuaient de protéger les sujets chrétiens du sultan, grâce à une interprétation équivoque du traité de Kainardji. Cette prétention donnait lieu à de fréquens débats, apaisés presque toujours par des concessions de la Porte. Or il arriva en 1850 que l’une de ces concessions causa de sérieuses inquiétudes à la diplomatie française. C’était à l’occasion des lieux saints que se disputaient l’église grecque et l’église latine. Sans entrer dans le détail des contestations, il suffit d’un mot pour en indiquer l’importance politique : la Russie voulait que son influence apparût aux chrétiens d’Orient comme la première de toutes, elle voulait que les populations chrétiennes de la Turquie s’accoutumassent à voir en elle la force, l’autorité, le salut, et que dans la protection présente elles reconnussent la souveraineté future. La France vit le péril et s’empressa de le signaler à l’Angleterre. La question était si particulière à l’origine, l’intérêt semblait si mince, que l’Angleterre ne s’en émut pas le moins du monde. Elle était même disposée à quelque mécontentement envers la diplomatie française, lui reprochant tout bas de réveiller pour des riens cette formidable question d’Orient. Cela dura ainsi jusqu’au commencement de 1853. Il fallut bien que l’Angleterre commençât à soupçonner quelque chose de grave dans les intentions de la Russie, lorsque M. de Nesselrode lit proposer au foreign office un partage de l’empire ottoman. L’Angleterre, d’après ce plan, aurait eu l’Égypte et l’île de Candie ; la Russie, modérée en apparence, se serait contentée du protectorat de la Moldo-Valachie, de la Serbie, de la