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part de ces instructions à M. de Nesselrode, lui indiquant les cas dans lesquels les vaisseaux russes ne seraient pas inquiétés par la flotte anglo-française et ceux dans lesquels « la force devrait être repoussée par la force. » Tout était donc convenu sur ce point et parfaitement accepté de part et d’autre. Cependant le 30 novembre 1853, par une journée brumeuse, l’amiral russe Nachimof sort de Sébastopol avec six vaisseaux de ligne, surprend une division de la flotte turque à l’ancre devant Sinope, sur la côte asiatique de la Mer-Noire, et l’anéantit en quelques heures. L’escadre ottomane se composait de treize bâtimens ; les uns sont coulés à fond, les autres sautent en l’air. 4000 Turcs périssent. L’amiral commandant, Osman-Pacha, blessé et fait prisonnier, est conduit à Odessa, où il mourra bientôt de ses blessures. Une partie de la ville de Sinope devient la proie des flammes.

L’indignation fut très vive dans toute l’Europe. M. de Nesselrode eut beau dire que l’escadre d’Osman-Pacha se préparait à jeter un corps d’armée sur les côtes russes, les diplomates réunis à Constantinople, et qui faisaient tant d’efforts pour prévenir la guerre générale, étaient témoins de la modération de la Turquie ; ils savaient avec quelle docilité le divan écoutait leurs conseils. Les allégations du cabinet de Saint-Pétersbourg ne pouvaient être prises au sérieux ; il était évident qu’il y avait eu là une violation de la parole donnée. Sous le coup de ces émotions, Frédéric-Guillaume IV se rapprocha de l’Angleterre. M. le comte Albert Pourtalès, un des amis de Bunsen, un des adversaires déclarés du parti russe à Berlin, fut envoyé en mission particulière auprès du cabinet de Saint-James (décembre 1853). Il venait sonder le gouvernement de la reine au sujet des avantages qui pourraient être assurés à la Prusse, si elle devenait l’alliée de la Grande-Bretagne. En de longs entretiens que le baron de Bunsen et le comte Pourtalès eurent avec lord Clarendon (29 décembre) et lord Aberdeen (31 décembre), les deux diplomates allemands firent espérer aux ministres anglais la coopération directe de la Prusse, à la condition que la Prusse serait garantie contre la Russie et l’Autriche, que l’Allemagne entière serait garantie contre la France, enfin que la Prusse serait libre d’organiser l’unité germanique suivant le désir des peuples allemands. Exemple bien significatif de la ténacité prussienne ! c’é-


    une portion quelconque du territoire turc ou pour commettre un acte d’hostilité ouverte contre la Porte, ses ordres sont de protéger contre de pareilles attaques les états du sultan. Il exprimera l’espoir que l’amiral russe n’aura recours à aucune mesure qui pourrait mettre en danger les relations pacifiques de la Grande-Bretagne et de la Russie. Une communication semblable sera probablement faite en même temps par l’amiral français. » Voyez Correspondence presented to both houses of parliament by command of her majesty. Londres 1854, part II, no 134.