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a tiré comme 75 millions annuels environ de la vente de cet engrais. Dès 1842, le commerce du guano avait commencé à lui rapporter des sommes importantes, et dans ces dernières années les produits de la vente ont atteint jusqu’à 90 millions de francs. Lorsque les gisemens des îles Chinchas furent épuisés, on alla chercher ceux des îles Guanape ; il en existe d’autres sur différens points de la côte qui pourront être exploités plus tard, et, quoique moins riches en matières ammoniacales fertilisantes, ces dépôts assurent au Pérou un revenu certain pour plus de dix années encore. Les engrais chimiques que l’on fabrique maintenant en Europe pourraient, il est vrai, faire au guano une concurrence sérieuse ; mais le Pérou trouve encore son compte dans cette concurrence même. En effet, si le phosphate de chaux que fournit en abondance le vieux continent est un des élémens essentiels à cette composition, les nitrates, qui manquent en Europe et que l’on rencontre ici à l’état presque pur dans la province de Tarapaca, n’en sont pas moins un des élémens indispensables. Cette nouvelle source de revenus n’est donc pas près de disparaître, et le gouvernement, qui l’a compris, n’a pas manqué de décréter cette année le monopole du salpêtre.

Tel est le tableau des richesses que renferme ce merveilleux pays, richesses agricoles, richesses forestières, métallurgiques, minérales, tout enfin, car rien n’y manque qu’une population de travailleurs assez nombreuse pour les mettre en valeur. Malheureusement l’indépendance, en apportant au Pérou une ombre de liberté, n’a point développé dans la nation, comme au Chili, le goût du travail, qui est la première condition de l’existence d’un peuple. La découverte du guano, qui eût pu fournir l’instrument le plus actif de la régénération du pays, puisqu’elle mettait aux mains du gouvernement le levier puissant du crédit, lui fut au contraire fatale. On crut ne voir jamais la fin de cette fortune tombée du ciel ; l’argent fut dépensé comme à plaisir, jeté au hasard dans les entreprises les plus folles, et, quand il n’y en eut plus, on engagea l’avenir pour en trouver encore. Aussi la nation, n’ayant point été élevée à l’école du travail par la nécessité, habituée bien vite à un gaspillage effréné qui est passé dans les mœurs de toutes les classes, s’est trouvée tout à coup sans ressources, par conséquent sans crédit, face à face avec une dette de 1 milliard et une population qui n’atteint pas 3 millions d’habitans, dont beaucoup vivent à l’état sauvage.

Si nous arrêtons nos regards sur les conditions sociales du pays, nous trouvons au premier chef la race blanche, descendant des conquérans et beaucoup moins mêlée qu’on ne le pense généralement aux races du pays. Longtemps tenue à l’écart des affaires par la jalousie de l’Espagne, qui lui préférait des citoyens qu’elle envoyait de la mère-patrie, cette classe eût pu marquer son avénement au pouvoir